Pas touche !

 ***

  

  

Papa aura maintenu son campement jusqu’au dernier souffle. Mais je lui ai fait comprendre que ça ne servait à rien qu’il reste là, à côté, à me gêner. C’est vrai, quoi ! Est-ce que je traînais dans ses pattes, moi, quand il avait le clavier de l’ordinateur pour lui tout seul ? Ça ne se joue pas à quatre mains, ce truc-là, j’ai dit. Il a soupiré et a virevolté les talons, comme dans les livres où le héros cesse d’être un héros.

J’ai alors actionné un levier qui se croyait trop bien caché sous le siège, mais que moi je l’avais déjà vu plein de fois parce que quand je suis à quatre pattes, je peux voir plein de dessous de choses que les grandes personnes n’imaginent même pas que ça existe, et même que ce truc-là doit être la manette suprême d’un gadget de James Bond parce que ça a fait pschitt ! et j’ai décollé d’au moins trente centimètres !

 

Du haut de ma nouvelle tour de contrôle, on y voit plus clair. Et je peux enfin regarder le monde d’en haut.

 

 

Tiens, je n’avais jamais remarqué.

Papa doit acheter des livres qu’il ne veut pas partager. Il y a un livre, là, par exemple, dans sa bibliothèque, eh ben, c’est sûr que je ne pouvais pas le voir d’en bas. Comme si Papa l’avait mis là exprès pour que je ne lui demande pas pour qu’il me tourne les pages comme avec le livre des poules et des canards, celui où il doit pas savoir si bien lire que ça, Papa, parce qu’il ne me raconte jamais la même histoire.

Qu’est-ce que c’est écrit ?

 

Kama Sutra ?

 

Ah. Un livre de voyages, certainement. J’ai toujours su que Papa et Maman étaient de grands voyageurs immobilisés. Un jour, Maman m’avait dit tu verras, on t’emmènera en vacances et on ne fera pas comme Papi qui a toujours voulu rester chez lui et qui n’a jamais emmené sa fille en vacances, même que sa fille, à Papi, je crois bien que c’est Maman toute seule, parce que Maman, elle s’obstine toujours à appeler Papi Papa, alors que moi elle me reprend toujours si je ne lui dis pas Papi. Elle est exclusive, Maman. Papa dit que c’est parce qu’elle est fille unique, et que personne ne pourrait la remplacer tellement qu’elle est unique.

 

A propos des vacances, Papa avait même ajouté qu’on prendra une voiture qui n’a pas de roues, qui va plus vite que tous les meilleurs chevaux les plus rapides de tous les champs de course et de la planète : une voiture qui a de grosses ailes que quand le vent souffle, ça la porte très haut dans le ciel pour aller au-delà des terres et des mers chercher des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas.

 

Kama Sutra. Ouais.

 

Ce doit être là-bas, le pays des perles où il ne pleut pas.

 

 

Mais revenons à cet ordinateur. Papa, lui, a l’air très fier de tapoter sur plein de touches en même temps. Ça fait un bruit comme une petite musique terne qui ne serait faite que de rythmes et de « clics clics ».

 

Le clic clic, c’est ça. Il faut prendre le gros truc rond, là, à côté du clavier, et taper dessus de temps en temps à l’aide de l’index.

 

Facile.

Avec le clapotis des touches, ça donne ça :

 

 

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Si vous saviez la tête de Papa quand il a vu la page … Lui qui avait l’air si fier, j’ai bien vu que ça lui avait mis un sacré coup au moral, de me voir taper aussi bien que lui !

 

Il a regardé partout pour voir s’il n’y avait vraiment eu personne pour m’aider, mais comme Hippolyte le lapin et Girafon l’enfant girafe étaient restés dans mon lit, il est devenu blanc comme un linge et il m’a arraché le gros truc qui fait clic clic des mains, en disant que ce n’était pas un jouet et que si je me prenais déjà pour une grande personne à mon âge, il n’avait pas fini de s’en voir quand je serai en âge d’aller faire des tours de mobylette.

 

 

Je n’ai vraiment pas compris pourquoi il me parlait de mobylette alors que moi j’étais très bien assis sur son siège télescopique à commande éjectable. D’ailleurs, ses grandes mains d’adulte sont passées sous  mes bras et il m’a fait décoller d’encore cinquante centimètres de plus pour me mettre sur ses épaules et m’emmener faire un tour au-dessus du salon, là où il n’y a sans doute pas de livres cachés que je ne risque pas de lui demander de me raconter.

 

 

                                

 

Puis il a vidé tous les gros légos Duplo sur le tapis et il a dit qu’on allait construire une niche tellement grande que même Hippolyte le lapin qui est très grand il aurait l’air perché dessus. Bien sûr, il devait se croire au travail, en train de concevoir une habitation moderne pour un client pas pénible, mais moi, je n’étais pas bien d’accord avec la forme qu’il voulait donner à la niche de mon whou whou. Les architectes, ce sont des rêveurs. Il ne faut pas hésiter à les reprendre de temps en temps afin de les remettre en face des réalités de la vie, sinon ils vous construisent une niche en forme de tour, et des clapiers à lapins en forme de niche. Alors je lui enlevais régulièrement des pièces afin de lui montrer comment et où il devait les mettre, mais mon Papa est un borné, et c’est à se demander comment il a pu rester à l’école aussi longtemps parce qu’il ne comprend vraiment rien.

 

Finalement, j’ai baissé les bras pour le laisser s’amuser.

 

Je suis allé chercher Hippolyte dans la chambre, et quand je suis revenue, Papa l’a mis dessus en disant ah, c’est vraiment magnifique, on va faire une photo pour montrer à Maman parce que si on lui raconte elle ne va jamais nous croire.

 

 

Là, je me suis mis à râler un coup pour lui rappeler qu’il était temps qu’il me change la couche et qu’il grandisse un peu.

 

 

Mais il a quand même continué à faire ses photos.

 

 

Il a vraiment de la chance de les développer sur son ordinateur, les photos, parce que sinon, Maman serait désespérée d’avoir autant d’argent à dépenser pour des photos aussi débiles.

 

 

La preuve :