• Il y a des lectures fortes qui vous marquent profondément, parce qu'elles résonnent en vous comme si elles se mettaient à l'unisson avec ce qu'il peut nous rester d'âme, dans ce monde quotidien où les idéaux n'ont pas leur place.
    GEMINI (1) est de celles-là.


    Non satisfaite d'avoir un style maîtrisé sur le bout de la plume, de ne rien avoir à envier à Nietzsche ou Lautréamont, Marie Fontaine(2), l'auteure — que dis-je, auteure, le génie qui se cache derrière le texte ! — nous propose un roman court (180 pages), mais d'une efficacité redoutable, dans lequel le suspens, l'intelligence, l'amour et le cynisme s'accordent à merveille de l'avant-propos, mise en bouche plus que prometteuse, au dénouement, qui est une vraie cerise sur le gâteau à lui tout seul.
    La nature humaine tout entière n'échappe pas à son regard avisé. Par le biais de son personnage principal dont je me dois de ne pas vous révéler le secret, Marie Fontaine pointe les absurdités et les paradoxales normalités de ce qui est devenu, il faut bien le reconnaître, notre monde actuel.


    Tremblez, jeunes insolents ! Continuez de vous croire à l'abri, vieux retraités ! Vos comportements, vos arrogances, votre bêtise et votre nombrilisme exacerbé échapperont-ils à ce meurtrier mystérieux auquel on se surprend secrètement de vouloir s'identifier ?


    Publiée par l'association Leda Editions, Marie Fontaine mérite amplement que l'on parle d'elle, que l'on fasse savoir qu'il existe une littérature de qualité au-delà des présentoirs sur lesquels on a plutôt l'habitude de trouver — qu'elle me pardonne ces petits extraits du livre — "le dernier Levo" (Non, c'est vrai ?), "deux Musseau" (Je t'ai perdue ; je t'ai retrouvée), "un Cavalcada" (L'échappée moche — c'est mon préféré, celui-là, allez savoir pourquoi…) ou un "Panfol" (Le jerk rapide des crocodiles, mdr).

    Loin des formulations moralisatrices ou du cynisme désespéré, le livre se termine en beauté, puisqu'entre les lignes demeure l'amour.
    Mais entre les lignes, de qui, de ses lecteurs épargnés, M-A-R-I-E saura-t-elle se faire A-I-M-E-R ?
    N'attendez pas que quelqu'un d'autre vous le répète : foncez chez elle, et procurez-vous au plus vite ce texte excellent et jubilatoire !

    Un petit extrait ?

    Tous ces vieillards étaient au demeurant fort sympathiques, toujours souriants, toujours prêts à compatir à la misère humaine. Ils allaient jusqu'à s'offusquer gravement ou même verser une larme devant les drames que vivaient quelques-uns de leurs semblables, savamment mis en scène et distillés aux infos quotidiennes par le dieu télé. Coupés du monde, ils macéraient dans une solitude qu'ils décriaient alors même qu'ils en étaient les seuls responsables, persuadés que le privilège de leur grand âge les dispensait d'aller vers les autres ; c'était à ces autres d'aller vers eux. Leur vision du monde réduite aux seules images aperçues sur l'écran de leur téléviseur, ils étaient incapables d'ouvrir les yeux sur la misère bien réelle qui sévissait dans leur ville, leur quartier, leur rue ou même leur immeuble. Une misère aveugle qui pouvait atteindre un parfait inconnu aussi bien qu'un membre de leur propre famille. Il aurait sans doute fallu que Damien passe à la télé pour que son auguste aïeul se rende enfin compte de sa détresse.

    Marie Fontaine — Gemini — Roman pseudo-policier

             

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