• Nuit sur l'eau  - Bruno Cantais


    — 
    C’est une blague, rassurez-moi ? J’ai l’impression d’être un modèle, un vrai juste au cœur pur et innocent, qui mériterait son accès direct au paradis sans examen, et vous osez prétendre que je ne vaux pas plus que ces minables ? 

    — Je confirme. 

    — On ne parle pas des mêmes, c’est évident ! 

    — J’en ai bien peur. 

    — Mes deux employeurs ? Ces deux putains d’enfoirés d’employeurs ? Je ne vaux pas plus qu’eux ? 

    — Non. 

    — Je ne vous crois pas. Vous ne devez pas les connaître, sinon vous ne diriez pas ça ! 

    — Je les connais même mieux que toi. 

    — Mais enfin ! Avez-vous déjà vu comme ils traitent leurs employés ? Ils ne connaissent aucun respect ! Le premier est un petit homosexuel refoulé qui méprise les femmes et traitent tous les hommes de petits pédés, et le deuxième est un grand frustré généralisé qui passe son temps à donner des leçons aux autres et se caresser le nombril ! Le monde, pour eux, se constitue de deux sortes de gens : ceux à qui il faut graisser la patte, et ceux qu’il faut exploiter. Et en plus, les deux n’ont jamais tort. Ils ne se sont jamais trompés, et il y a toujours un autre individu de la chaîne professionnelle qui doit être responsable à leur place. Ce n’est pas de la mauvaise foi, ça ? Ne me dites pas que je ne vaux pas plus qu’eux, bordel ! Je n’ai tout de même pas leur mauvaise foi, non ? 

    — Ta mauvaise foi est différente, et pourtant tout aussi grave. 

    — Je suis de mauvaise foi, moi ? 

    — Tu prétends être toi-même alors que tu ne te montres jamais comme tel devant autrui. 

    — C’est que je suis timide ! 

    — Allons, allons ! 

    — Je suis trop tolérant et conciliant : en société, je laisse s’exprimer les autres sans juger, et puis, pour ne pas les agresser, j’évite de les contredire. C’est quand même sympa, non ? S’ils veulent savoir ce que je pense réellement de ce qu’ils disent, ils n’ont qu’à me poser la question, après tout ! S’ils ne me demandent rien, c’est qu’ils ne veulent pas savoir ! Vous savez, il ne faut pas se leurrer, lorsqu’ils vous prennent à parti, en bas, c’est toujours pour avoir votre bénédiction sur ce qu’ils viennent de dire ou faire. Connaître votre propre personnalité, ça, ça n’intéresse personne ! 

    — Si ta personnalité ne servait à rien, crois-tu que nous aurions pris la peine de t’en doter ? 

    — Peut-être que le monde a changé, et que certains paramètres de votre création ne sont plus d’actualité… 

    — Les espèces ne sont-elles pas dotées d’une évolution ? 

    — Il paraît. 

    — Si ce paramètre n’a pas disparu, c’est donc qu’il fait encore partie des paramètres essentiels. 

    — Puis-je savoir à quoi sert une personnalité, selon vos critères ? 

    — A exister. 

    — Je n’existe pas ? 

    — Prenons le problème par un autre bout : comment te présenterais-tu, si je ne te connaissais pas ? Qui es-tu ? 

     

    [tourner la page vers Acte I article 7]

     

    Bookmark and Share


    2 commentaires
  •  Qui est Bruno Cantais ?

     

    — Ils « choisissent » ? 

    — On a toujours le choix, mon enfant ! 

    — Pourquoi ne choisissent-ils pas autre chose, alors ? 

    — Le manque de courage fait effectuer des choix étranges. Sans doute trouvent-ils qu’il est plus facile de se mesurer à quelque chose que l’on a déjà vécu ? 

    — Et moi ? Je ne peux pas choisir, entre le coma et la mort, par exemple ? 

    — Non. 

    — Je ne suis pas logé à la même enseigne que les autres ? 

    — Vous êtes tous à la même enseigne. Il faut mourir pour être confronté à un nouveau choix. Pour le moment, je te rappelle que tu es en sursis. Ton coma fait encore partie de ta vie. 

    — Et si je finis en légume ? Quel en sera l’intérêt ? 

    — Tu bénéficieras de toute ta tête, afin de pouvoir progresser dans des domaines que tu as trop longtemps négligés. 

    — Pourquoi progresserais-je davantage en légume, plutôt qu’en être normal, bénéficiant de toutes ses facultés physiques ? 

    — Lorsque les individus ont tendance à se fuir eux-mêmes, leur couper les jambes peut se révéler très efficace. 

    — C’est un jeu de mots, rassurez-moi ? 

    — Non. 

    — Vos méthodes ne sont-elles pas un peu radicales ? 

    — A dysfonctionnement radical : réponse radicale. 

    — Je dysfonctionne, moi ? 

    — C’est le moins que l’on puisse dire. 

    — Avec tous les efforts permanents que je suis obligé de faire pour supporter tout ce que vous me mettez entre les pattes, vous osez dire que c’est moi qui dysfonctionne ? 

    — Bien sûr. Et c’est justement parce que tu les supportes trop, ces choses que nous te mettons entre les pattes, que tu te retrouves ici dans ce face-à-face ! 

    — Vous reconnaissez donc que je supporte bien plus de choses que tous ces abrutis avec qui vous m’obligez à vivre ? 

    — Des abrutis évalués au même niveau que toi, entre nous soit dit. 

    — A vos yeux, je ne vaux pas plus ? 

    — Non. 

    — Vous rigolez ? 

    — Non. 

    — C’est une blague, rassurez-moi ? J’ai l’impression d’être un modèle, un vrai juste au cœur pur et innocent, qui mériterait son accès direct au paradis sans examen, et vous osez prétendre que je ne vaux pas plus que ces minables ? 

     

     

     

    [tourner la page vers Acte I article 6]

     

    Bookmark and Share


    2 commentaires
  • Envolée lyrique - Bruno cantais

    — A la bonne heure ! Enfin, nous y arrivons ! 

    — Nous arrivons à quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? 

    — Tu as commencé à parler de tes choix. 

    — Vous voulez que je vous parle de mes choix ? 

    — Je crains que tu n’en aies pas le choix ! 

    — Et ce jeu de mots vous fait rire ? 

    — Je ne ris pas. 

    — Vous souriez. 

    — Comment pourrais-tu le savoir, puisque tu ne vois pas mon visage ? 

    — Je le devine. C’est d’ailleurs très rassurant de savoir que son bourreau est capable de sourire. 

    — Je ne suis peut-être pas ton bourreau. 

    — Quelqu’un de masqué peut être effectivement n’importe qui. 

    — Permets-moi de te rappeler que ton entêtement n’y fera rien : tu ne verras pas mon visage, tant que tu n’auras pas répondu aux critères de sortie. 

    — Quels sont les critères de sortie ? 

    — Es-tu prêt à les accepter ? 

    — Cela dépend de leur exigence. 

    — Tu n’es pas en position de demandeur. Aussi, je te conseille d’ouvrir grand tes oreilles, car je ne répèterai pas : si tu veux sortir d’ici sans séquelle, il faut que tu acceptes ce face-à-face avec toi-même. Pour cela, considère-moi comme ton propre double. Un miroir, si tu préfères.  

    — Drôle de miroir, ce masque ! 

    — Peut-être pas autant que tu pourrais le croire. N’as-tu jamais eu l’impression de porter un masque, là-bas en bas ? 

    — Je suis quelqu’un de sincère et d’honnête. Je n’ai pas besoin de masque pour exister. 

    — Etrange. 

    — Pourquoi ? Il faudrait vivre avec un masque ? 

    — C’est la réponse, que je trouve étrange, pour quelqu’un qui cache systématiquement sa personnalité la plus profonde partout où il va. 

    — Ma personnalité la plus profonde, c’est quoi, pour vous ? 

    — Celle pour laquelle tu existes, mon enfant ! 

    — Et comment pourrais-je le savoir, ce pour quoi j’existe ? En bas, comme vous dites, il n’y a ni mode d’emploi ni jeu de piste : il faut tout deviner. Savoir pourquoi l’on est là, qui l’on doit fréquenter, quel rôle endosser… Vous croyez que c’est facile ? 

    — Si c’était facile, tu n’y serais pas. 

    — C’est donc une épreuve, c’est ça ? Une épreuve que vous nous faites subir, et puis, au final, vous triez les bons éléments des mauvais, c’est ça ? 

    — C’est un peu plus compliqué que cela, mais dans le fond, c’est à peu près ça. 

    — C’est quoi, la récompense, pour les meilleurs ? 

    — Un monde plus simple et plus heureux. 

    — Et pour les autres ? 

    — Il existe plusieurs alternatives possibles. Souvent, ils choisissent le redoublement. 

    — Ils « choisissent » ? 

     

     

    [tourner la page vers Acte I article 5]

     

    Bookmark and Share


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique