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Par charliebregman le 22 Mars 2006 à 09:58
Désert tryptique - Bruno Cantais
— Je n’ai peur de rien, je vous dis. Faites-moi voir votre visage !
— Tu perds ton temps, et je te rappelle qu’il est beaucoup plus précieux que le mien.
— Vous êtes éternel ?
— Plus que toi, c’est certain.
— Pourquoi me tutoyez-vous, au juste ? Parce que vous vous croyez supérieur ?
— Non.
— Pourquoi, alors ?
— Parce qu’il me semble que je te connais assez pour pouvoir te tutoyer.
— Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
— Je n’oublie jamais le visage de mes clients.
— Je suis votre client, moi ?
— Bien sûr.
— Mais je ne vous ai pourtant jamais rien demandé !
— La demande vient toujours des clients.
— Je m’en souviendrais !
— C’est ce que j’aurais cru, mais cette conversation tend effectivement à prouver le contraire.
— Il faut dire que si je ne vois pas votre visage…
— N’insiste pas : tu ne le verras pas avant de pouvoir sortir d’ici.
— Je pourrai donc le voir ?
— Peut-être.
— Toutes ces énigmes, ces réponses évasives… Rien n’est donc jamais sûr, dans votre monde ?
— La suite des événements ne dépend que de toi, et non de moi.
— Je peux vous avoir à l’usure, vous savez.
— Je t’en défie.
— Pourquoi ?
— On ne craint pas l’usure, lorsque l’on est éternel.
— J’aurais dû m’en douter. Vous êtes donc Dieu ?
— Qu’est-ce que Dieu, pour toi ?
— Je ne sais pas : je ne suis pas croyant.
— Il va falloir le devenir.
— Je ne demande pas mieux, mais je vous avertis : je ne crois que ce que je vois !
— Lorsque l’horizon est plat, tu crois que la terre est ronde ?
— Ça n’a rien à voir : c’est scientifique.
— Es-tu un scientifique ?
— Je n’en ai pas fait mon métier, mais j’aurais pu.
— Tu le regrettes ?
— Non. Il faut bien effectuer des choix, dans la vie.
— A la bonne heure ! Enfin, nous y arrivons !
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Par charliebregman le 21 Mars 2006 à 09:55
— C’est mon jugement, c’est ça ? Vous êtes mon bourreau ?
— Je suis là pour te mettre en face de la réalité.
— La réalité, pour vous, c’est ça : une salle d’attente avec rien à faire et rien à lire ?
— Ce n’est pas une salle d’attente.
— Rassurez-moi vite : ce n’est tout de même pas une salle de consultation ?
— Ma foi : tant que tu n’auras pas pris conscience de certaines choses, il est évident que tu ne transiteras pas ailleurs.
— Et ça peut durer longtemps ?
— Cela ne dépend que de toi.
— C’est-à-dire ?
— Personnellement, je ne suis pas pressé. Par contre, j’en connais, en bas, qui espèrent te voir revenir du coma avant qu’il ne soit trop tard.
— Trop tard pour quoi ?
— A partir d’un certain moment, les séquelles sont assez difficiles à supporter. Pour le patient, comme pour sa famille.
— Je vais être un légume ?
— Si tu tardes trop, ce n’est pas exclu.
— Mais c’est du chantage !
— Hélas, personnellement, je n’ai rien à y gagner : je ne fais que mon travail ! Qu’il s’agisse de toi ou d’un autre, pour moi, c’est la même chose.
— Qui êtes-vous, au juste ?
— Encore une fois, je ne suis pas habilité à répondre à ce genre de question.
— Qui vous l’interdit ?
— Le règlement.
— Les règlements, ne peut-on pas y déroger ?
— Les règlements sont faits pour être appliqués.
— Vous ne devez pas être marrant tous les jours.
— Je ne suis pas payé à être marrant.
— Parce qu’on vous paie ?
— Bien sûr. Si tu crois que je suis là pour tes beaux yeux…
— Pourquoi ne puis-je pas voir votre visage ?
— Parce qu’il te ferait peur.
— Je n’ai pas l’habitude d’avoir peur. J’ai peur de rien.
— L’habitude se prend vite, dans certaines circonstances.
— Je n’ai peur de rien, je vous dis. Faites-moi voir votre visage !
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Par charliebregman le 20 Mars 2006 à 22:54
— Qui êtes-vous ?
— Je ne suis pas habilité à te répondre.
— Je suis mort ?
— En quelque sorte.
— Qu’est-ce qui m’est arrivé ?
— A force de prendre des risques, on finit toujours par provoquer l’accident.
— Ah, oui ! Je me souviens, maintenant : je rentrais du travail, et puis, je ne sais pas pourquoi, ce type a grillé la priorité…
— Tu roulais vite.
— J’étais pressé. Ma femme repartait au travail à treize heures, et je n’ai pu quitter le mien qu’à moins dix.
— Tu n’assumes donc pas tes responsabilités dans cet accident ?
— Je roulais peut-être vite, mais prudemment. C’est ce type, qui a tout provoqué !
— Tu aurais pu l’éviter si tu n’avais pas roulé à cette vitesse.
— Avec des si, on met Paris en bouteille !
— Avec plus de sagesse, on s’évite bien des problèmes.
— Mais enfin ! Je suis victime, après tout ! L’autre, d’ailleurs, qu’est-ce qui lui est arrivé ?
— Rien. Il est vivant.
— Ah ! Vous voyez ! C’est bien moi qui suis à plaindre.
— Es-tu vraiment à plaindre ?
— Je suis quand même mort !
— Pas mort, non. Pas encore. Pour le moment, tu n’es que dans le coma.
— Je suis dans le coma ?
— Oui.
— Et que va-t-il m’arriver, après ? Je vais m’en sortir ?
— On ne sait pas encore.
— C’est quoi, ici ? Le paradis ? L’enfer ? Une salle d’attente pour l’un ou l’autre ?
— Oublie tous ces clichés dénués de tout fondement.
— Vous n’avez pas répondu à ma question.
— Disons qu’ici, il va falloir t’habituer à la sincérité.
— Je vais être jugé ?
— En quelque sorte.
— C’est mon jugement, c’est ça ? Vous êtes mon bourreau ?
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