• Désert tryptique - Bruno Cantais

     

    — Je n’ai peur de rien, je vous dis. Faites-moi voir votre visage ! 

    — Tu perds ton temps, et je te rappelle qu’il est beaucoup plus précieux que le mien. 

    — Vous êtes éternel ? 

    — Plus que toi, c’est certain. 

    — Pourquoi me tutoyez-vous, au juste ? Parce que vous vous croyez supérieur ? 

    — Non. 

    — Pourquoi, alors ? 

    — Parce qu’il me semble que je te connais assez pour pouvoir te tutoyer. 

    — Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? 

    — Je n’oublie jamais le visage de mes clients. 

    — Je suis votre client, moi ? 

    — Bien sûr. 

    — Mais je ne vous ai pourtant jamais rien demandé ! 

    — La demande vient toujours des clients. 

    — Je m’en souviendrais ! 

    — C’est ce que j’aurais cru, mais cette conversation tend effectivement à prouver le contraire. 

    — Il faut dire que si je ne vois pas votre visage… 

    — N’insiste pas : tu ne le verras pas avant de pouvoir sortir d’ici. 

    — Je pourrai donc le voir ? 

    — Peut-être. 

    — Toutes ces énigmes, ces réponses évasives… Rien n’est donc jamais sûr, dans votre monde ? 

    — La suite des événements ne dépend que de toi, et non de moi. 

    — Je peux vous avoir à l’usure, vous savez. 

    — Je t’en défie. 

    — Pourquoi ? 

    — On ne craint pas l’usure, lorsque l’on est éternel. 

    — J’aurais dû m’en douter. Vous êtes donc Dieu ? 

    — Qu’est-ce que Dieu, pour toi ? 

    — Je ne sais pas : je ne suis pas croyant. 

    — Il va falloir le devenir. 

    — Je ne demande pas mieux, mais je vous avertis : je ne crois que ce que je vois ! 

    — Lorsque l’horizon est plat, tu crois que la terre est ronde ? 

    — Ça n’a rien à voir : c’est scientifique. 

    — Es-tu un scientifique ? 

    — Je n’en ai pas fait mon métier, mais j’aurais pu. 

    — Tu le regrettes ? 

    — Non. Il faut bien effectuer des choix, dans la vie. 

    — A la bonne heure ! Enfin, nous y arrivons ! 

     

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  •  

    — C’est mon jugement, c’est ça ? Vous êtes mon bourreau ? 

    — Je suis là pour te mettre en face de la réalité. 

    — La réalité, pour vous, c’est ça : une salle d’attente avec rien à faire et rien à lire ? 

    — Ce n’est pas une salle d’attente. 

    — Rassurez-moi vite : ce n’est tout de même pas une salle de consultation ? 

    — Ma foi : tant que tu n’auras pas pris conscience de certaines choses, il est évident que tu ne transiteras pas ailleurs. 

    — Et ça peut durer longtemps ? 

    — Cela ne dépend que de toi. 

    — C’est-à-dire ? 

    — Personnellement, je ne suis pas pressé. Par contre, j’en connais, en bas, qui espèrent te voir revenir du coma avant qu’il ne soit trop tard. 

    — Trop tard pour quoi ? 

    — A partir d’un certain moment, les séquelles sont assez difficiles à supporter. Pour le patient, comme pour sa famille. 

    — Je vais être un légume ? 

    — Si tu tardes trop, ce n’est pas exclu. 

    — Mais c’est du chantage ! 

    — Hélas, personnellement, je n’ai rien à y gagner : je ne fais que mon travail ! Qu’il s’agisse de toi ou d’un autre, pour moi, c’est la même chose. 

    — Qui êtes-vous, au juste ? 

    — Encore une fois, je ne suis pas habilité à répondre à ce genre de question. 

    — Qui vous l’interdit ? 

    — Le règlement. 

    — Les règlements, ne peut-on pas y déroger ? 

    — Les règlements sont faits pour être appliqués. 

    — Vous ne devez pas être marrant tous les jours. 

    — Je ne suis pas payé à être marrant. 

    — Parce qu’on vous paie ? 

    — Bien sûr. Si tu crois que je suis là pour tes beaux yeux… 

    — Pourquoi ne puis-je pas voir votre visage ? 

    — Parce qu’il te ferait peur. 

    — Je n’ai pas l’habitude d’avoir peur. J’ai peur de rien. 

    — L’habitude se prend vite, dans certaines circonstances. 

    — Je n’ai peur de rien, je vous dis. Faites-moi voir votre visage ! 

     

     

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  • — Qui êtes-vous ? 

    — Je ne suis pas habilité à te répondre.  

    — Je suis mort ? 

    — En quelque sorte. 

    — Qu’est-ce qui m’est arrivé ? 

    — A force de prendre des risques, on finit toujours par provoquer l’accident. 

    — Ah, oui ! Je me souviens, maintenant : je rentrais du travail, et puis, je ne sais pas pourquoi, ce type a grillé la priorité… 

    — Tu roulais vite. 

    — J’étais pressé. Ma femme repartait au travail à treize heures, et je n’ai pu quitter le mien qu’à moins dix. 

    — Tu n’assumes donc pas tes responsabilités dans cet accident ? 

    — Je roulais peut-être vite, mais prudemment. C’est ce type, qui a tout provoqué ! 

    — Tu aurais pu l’éviter si tu n’avais pas roulé à cette vitesse. 

    — Avec des si, on met Paris en bouteille ! 

    — Avec plus de sagesse, on s’évite bien des problèmes. 

    — Mais enfin ! Je suis victime, après tout ! L’autre, d’ailleurs, qu’est-ce qui lui est arrivé ? 

    — Rien. Il est vivant. 

    — Ah ! Vous voyez ! C’est bien moi qui suis à plaindre. 

    — Es-tu vraiment à plaindre ? 

    — Je suis quand même mort ! 

    — Pas mort, non. Pas encore. Pour le moment, tu n’es que dans le coma. 

    — Je suis dans le coma ? 

    — Oui. 

    — Et que va-t-il m’arriver, après ? Je vais m’en sortir ? 

    — On ne sait pas encore. 

    — C’est quoi, ici ? Le paradis ? L’enfer ? Une salle d’attente pour l’un ou l’autre ? 

    — Oublie tous ces clichés dénués de tout fondement. 

    — Vous n’avez pas répondu à ma question. 

    — Disons qu’ici, il va falloir t’habituer à la sincérité. 

    — Je vais être jugé ? 

    — En quelque sorte. 

    — C’est mon jugement, c’est ça ? Vous êtes mon bourreau ? 

     

      

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