• Acte I article 08 - Souffrances mal digérées

     

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    Bruno Cantais - Design Red Art

     

      

    — Pourquoi ne le fais-tu pas, en bas ? 

    — Parce que je ne me sens pas responsable de ce que peuvent penser les abrutis, que ce soit à mon sujet ou bien au sujet de plein d’autres choses. 

    — Tu te plains donc de ces abrutis, mais tu ne fais rien en retour pour les faire évoluer. 

    — Je ne suis pas payé pour ça. 

    — T’attends-tu à être payé pour effectuer des choses essentielles ? 

    — Je ne me fais plus d’illusion, merci. 

    — C’est le propre des dessinateurs projeteurs, de ne plus se faire d’illusions ? 

    — En quelque sorte. 

    — Pourquoi n’es-tu pas architecte ? N’en avais-tu pas le niveau ? 

    — J’ai interrompu mes études parce que je les trouvais inadaptées. Perdre mon temps m’est une chose insupportable. 

    — Depuis quand des études, menant à un titre d’architecte, feraient-elles perdre du temps à ceux qui les suivent ? 

    — Depuis que les écoles ne se concertent pas entre elles, et qu’il n’y a pas de suivi de l’une à l’autre. Excusez-moi, mais lorsque vous en avez bavé dans une première école pour obtenir votre premier diplôme d’études fondamentales, et que vous l’avez obtenu, ce diplôme, vous n’avez pas forcément envie d’avoir à refaire vos preuves, en second cycle intégré dans une autre école, sur les mêmes connaissances de base, théoriques et complètement déconnectées de la vie professionnelle ! 

    — Tu en as donc bavé, pour obtenir ton premier diplôme ? 

    — J’ai passé mes vingt ans à miser trois ans de ma vie. Cette année-là, je n’avais guère le choix : soit je la réussissais et je validais mes trois années passées à conquérir un diplôme bac+2, soit j’échouais, et je retombais à zéro. J’ai passé des nuits entières à recommencer des projets que mes professeurs remettaient en cause quinze jours avant le rendu, des heures et des heures à apprendre à dessiner comme si les architectes avaient réellement besoin de savoir dessiner comme des peintres, des soirées entières à m’exercer aux calculs de statique comme si je voulais faire ingénieur, et des week-ends sordides à rester enfermé chez moi, à ne pas voir la lumière du jour et à me doper de café et de vitamines pour terminer des devoirs de psychologie, de géométrie, de rendus graphiques ou tout simplement pour concevoir mes projets d’architecture. Vous appelleriez cela comment, vous, si ce n’est pas en baver ? 

    — Au moins, ta formation de premier cycle reflétait un large panorama de tout ce que tu pouvais être amené à faire en exerçant ta future profession. De quoi te plains-tu ? 

    — Je me plains de l’aveuglement des professeurs, du malin plaisir qu’ils prenaient à nous voir en baver, à revoir la cohérence de nos projets trois jours avant la présentation. Je me plains de cette espèce de sadisme indicible qui les faisait jouer avec nos nerfs comme un chat joue avec la souris qu’il malmène entre ses griffes, de leur subjectivité insolente à juger nos projets non pas par le biais de la cohérence de la structure, la maîtrise des techniques et le respect des lois et des exigences du programme, mais selon l’esthétisme, l’innovation et l’utopie ! Comment pouvez-vous exiger d’un étudiant d’architecture du génie alors qu’on ne lui a même pas appris à faire tenir un édifice debout ? 

    — Tu disais qu’il y avait des exercices de statique… 

     

     

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