• Cargaison d'une éponge



     

    Je suis un noctambule.

    Le soir, lorsqu’à vingt-et-une heures précises je peux enfin me transformer en Charlie Bregman, je me connecte sur internet pour surfer et divaguer jusqu’à ce que minuit approche.
    Là, enfin, gonflé à bloc de cette envie indescriptible de vouloir écrire tout un roman en une seule nuit, je m’éclipse enfin du monde virtuel, et lance une page de mon traitement de texte pour commencer à exister.

    Souvent, à cinq minutes de la fin de journée, lorsque le monde entier a enfin disparu et que le silence s’est endormi dans les rues, lorsque plus personne ne peut m’interpeler ni même me croiser, je savoure le bonheur indicible d’être enfin celui qui ne porte pas de masque, celui qui est avant d’avoir et celui qui existe avant de devoir. Les larges chaînes de mes geôles quotidiennes sont enfin mises de côté, les portes sont grandes ouvertes, les barreaux sciés, les miradors disparus, et la clef des champs, là, juste là, sous mes doigts, sous chaque « clic clic » et faute de frappe et enfin, je savoure cet oxygène si pur qui pénètre en mon être, en même temps que je me délecte de cette existence secrète que personne ne soupçonne.

    Une journée de plus d’accomplie : une de moins qu’il me restera à endurer.
    Je n’ai pourtant pas à me plaindre ni de mon job ni de ma condition, ni du regard des autres ni du fait qu’ils me prennent pour un con : c’est exactement comme si toute ma vie ne servait qu’à cacher ce que je suis, qu’à accumuler des situations et des énergies pour ne les restituer qu’au beau milieu de la nuit.

    Au seuil de la grande porte, là où l’on ne se rend pourtant jamais sans invitation préalable, je me présente tel quel, sans maquillage ni chichi, avec mon fardeau qui me courbe l’échine et la solitude qui me défigure, et je Lui rend enfin la monnaie de sa journée.
    — C’est tout ? s’étonne-t-Il.
    C’est fou ce que l’on peut surestimer la possibilité d’un jour, lorsque l’on est totalement déconnecté de la réalité…
    — Les jours passent vite… dis-je, comme si je cherchais à m’en excuser.
    — S’ils passent aussi vite que tu veux me le faire croire, c’est que tu peux tenir encore quelques temps… raille-t-Il.
    Au fond, je sais bien qu’Il ne me lâchera pas. Tant que je n’aurai pas accompli le travail jusqu’au bout, je n’aurai qu’à revenir chaque nuit, déposer là sa cargaison.

    Cargaison d’une éponge.


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  • Commentaires

    1
    visiteur_Lili
    Lundi 7 Avril 2008 à 13:13
    J'avais d? essay?e poster un comm, mais ?a plant? je voulais dire que ce texte est assez ... "puissant" !
    2
    charliebregman
    Mercredi 9 Avril 2008 à 22:40
    merci Lili !
    Et toi, depuis le temps, c'est quand que tu te d?des ?ublier en ligne ?
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