• Dictatures et désinvoltures

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    Tout se passe très vite. J’ai l’impression de ne plus rien pouvoir maîtriser de l’enchaînement des situations. Tout est décidé pour nous, tout est programmé, ordonné, réglé d’avance. Nos aptitudes et nos inaptitudes importent peu, au final. Ici, il y aura toujours une place qui nous sera attribuée. Pas de perte, pas de gâchis : tout le contingent sera utilisé et exploité jusqu’au bout.

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    J’ai commencé par être affecté à la première section de la troisième compagnie du régiment. Puis, au bout d’une semaine, des tests ont eu lieu, à l’aide d’un simulateur de tirs de missiles sur des petits chars en carton qui se déplaçaient sur une maquette de terrain tellement grande qu’elle prenait toute la pièce à elle toute seule. Là, j’ai sans doute pris mon rôle trop à cœur. J’ai été retenu pour faire partie de « l’élite » : la section MILAN de la troisième compagnie ! Naïf, je l’ai été. Mais pas autant que berné. L’adjudant de la section est une vraie teigne. Un vrai fou de guerre, qui ne pense qu’à une seule chose : faire de nous tous de véritables soldats ! Nous a-t-il seulement bien regardés ? J’ai vingt-deux ans, et je fais partie des plus jeunes de la section. Tous sont multi-diplômés, porteurs d’un titre « bac plus quatre » au minimum. La plupart n’ont déjà plus de cheveux sur la tête, non pas parce que l’armée s’est occupée de leur coupe réglementaire, mais tout simplement parce que ces gens-là ont déjà tout perdu à force de se gratter la tête à trop réfléchir. L’élite de la compagnie, la voilà : une belle brochette d’intellectuels ! Les trois sergents chargés de nous mater, tous issus du fameux régiment de parachutistes, ont du fil à retordre et nous haïssent déjà. Pour eux, nous ne sommes que des « civils » qui se croient intelligents. Nos diplômes et nos études ne représentent plus rien, sur le terrain. Notre petite habitude au confort, ils vont nous la briser. Nos dix mois seront disciplinaires ! Ils vont nous en faire baver. Plus question de prendre le moindre temps pour se reposer : nuit et jour, ils seront là pour nous rendre conformes à l’image que doit donner le Régiment de Marche du Tchad ! Savez-vous seulement de quoi l’on parle ? Ce régiment a été fondé par le Maréchal Leclerc lui-même ! C’est lui qui a libéré Paris en 1944 ! Et l’on voudrait le saboter par notre attitude désinvolte et insoumise ? Les insoumis seront envoyés au trou. Leur service militaire sera prolongé d’autant de temps ! Cela durera trois ans, s’il le faut ! « Vous n’êtes pas prêts de revoir la vie civile ! »

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    Deux jours seulement après avoir intégré cette nouvelle section de fanatiques, on nous a appris que seulement trois ou quatre d’entre nous ne deviendraient véritablement des tireurs MILAN. Ah ? Et les autres ? Ils seront réformés ? Non. Il leur faut aussi des pilotes de chars, des chefs de tourelle, des radio-tireurs, et des grenadiers voltigeurs. L’adjudant a repris un a un chacun de ces titres, et nous en a décrit la fonction. Le pilote de chars entretient et pilote le char. Jusque là, rien de très compliqué à comprendre. Le chef de tourelle, c’est celui qui se trouve dans la partie rotative du char, avec le radio-tireur. La tourelle comprend un canon de vingt millimètres avec une réserve de sept cent soixante obus, explosifs ou perforants, et une mitrailleuse de sept millimètres soixante-deux, avec une réserve de deux mille cartouches. A l’arrière du char, dans la casemate, il faut huit grenadiers voltigeurs. Ce sont ceux qui sont sur le terrain. Ils lancent les grenades. La voltige, c’est quand ils se prennent la grenade des autres.

    Aussitôt, je me suis dit que ces cons-là étaient sans doute capables de nous faire faire leurs exercices à balles réelles. Pour cette raison, il me fallait absolument ne pas me retrouver dans les huit Rambo de service, à l’arrière du char.<o:p></o:p>

    Je ne sais pas par quel miracle cela a eu lieu, mais toujours est-il, qu’à la fin des classes, mon nom a été appelé pour faire partie du groupe de ceux qui allaient être envoyés à Carpiagne, au centre de formation des pilotes de chars de l’Armée de Terre.

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    C’était il y a déjà presque deux semaines.

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    Ce matin, alors que le jour est à peine levé, je me retrouve donc assis là, le béret sur la tête, le regard vide et la tête ailleurs, à l’arrière de ce camion qui nous secoue comme des pruniers. J’aurais envie d’être ailleurs, à l’extérieur, quelque part « dans le civil », comme ils disent, pour arpenter une vie qui est réellement la mienne. Au lieu de cela, il faut que je me retrouve planté là sans savoir pourquoi. Sans savoir pour quelle raison exacte et précise il me faut absolument accepter de perdre dix mois de mes années les plus précieuses. Dix mois d’incarcération, pour quelqu’un qui n’a commis aucun délit, qui ne s’est jamais rebellé contre quoi que ce soit. Pour quelqu’un qui a toujours été soumis à l’autorité sous laquelle il a été placé. Dix mois de rétention. Dix mois de peine. Dix mois de condamnation, pour un procès dont je n’aurai finalement rien vu et rien su.

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    Avachi par l’absurdité de notre quotidien, anéanti par la hiérarchie et la discipline, je me sens terriblement prisonnier. A sept cent kilomètres d’ici, mon roman en cours d’écriture m’attend, au stade d’ébauche, et il m’est impossible de le continuer.

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    Tout à l’heure, il me faudra prendre les commandes de mon char AMX10P. Mon premier roman va finir par être un roman absurde, une adaptation libre et personnelle du Procès de Kafka. Il ne faudra pas m’en vouloir. Ce qui est absurde, c’est qu’il n’y a jamais de place réservée aux écrivains, dans ce monde ici-bas. Lorsque tu as un monde tout entier à l’intérieur de toi, et que tu as besoin de l’extérioriser parce que tu sens que ta vie tout entière n’aurait pas le moindre sens si tu ne parvenais pas à le faire, il n’y a pas la moindre plage horaire aménagée pour cela, et toute ton écriture se résume finalement à un espèce de combat vain et dérisoire entre la vie que tu veux arpenter, et celle que l’on veut t’imposer. Tu n’as, en définitive, pas d’autre possibilité que d’écrire en cachette, la nuit, sous des couvertures sombres et froides, à la lueur d’une lampe frontale dont l’éclairage laisse à désirer. Certains, curieux, viendront voir ce que tu fais, et tu prétexteras un courrier à ta petite sœur ou ta petite amie. Mais rassure-toi : le fait d’avoir choisi le lit du dessus, plutôt que celui du dessous, te sauvera toujours de toutes les suspicions.

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    En somme, il y a quelque chose d’extrêmement tragique, dans le fait d’être un écrivain : il te faut feindre la banalité pour être accepté des autres, et dormir cependant au-dessus d’eux pour pouvoir les décrire !<o:p></o:p>

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    visiteur_thézou@free
    Dimanche 19 Mars 2006 à 15:53
    Je n'ai pas de temps ce soir, je reviendrai pour prendre le temps de lire ton long texte, je te remercie d'?e pass?hez moi, a plus tard !!!!
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