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Entretien avec Daniel Ichbiah
Daniel Ichbiah, tu es écrivain, journaliste, rédacteur en chef de Comment ça marche, auteur compositeur… Peux-tu nous résumer brièvement ton parcours, nous détailler un peu plus précisément chacune de tes spécialités, et nous parler de qui te plaît le plus parmi tes différentes activités ?
Vaste question ;-)). Toutefois, la réponse est aisée : composer, écrire des chansons est de loin l’activité la plus fabuleuse. Une chanson, c’est un art à part entière car en deux ou trois minutes, il faut toucher les gens, susciter quelque chose, les faire entrer dans un univers. L’avantage, c’est que l’auditeur est interpellé par divers éléments : la beauté de la mélodie, l’impact de certains mots, l’intervention de certains instruments… D’une certaine façon, écrire et jouer des chansons en public m’a appris une loi qui à mon sens, s’applique à tous les arts : il faut régulièrement qu’il se passe quelque chose de ‘remarquable’, quelque chose qui renouvelle l’attention. C’est notamment vrai dans un roman, il faut régulièrement qu’un événement intervienne, qui conserve l’attention du lecteur en alerte. Pour ce qui est d’une chanson, c’est un processus très particulier. Parfois, tu remplaces un mot par un autre et le public est conquis, c’est pour cela que c’est un art très à part. Changer une suite de mots par ci par là peut avoir un impact énorme. Je connais peu de joies aussi énormes que de jouer en public. Et au départ, ce n’est pas évident. Les gens sortent de leur boulot, ils sont peut-être encore préoccupés par ce qui s’est passé durant la journée, ils ne sont pas forcément ouvert à accepter un univers qu’ils ne connaissent pas. Si l’on se débrouille bien, ils entrent immédiatement dedans. L’impact des mélodies, du texte, la chanson que l’on place en premier, tout cela y contribue… Il existe un autre élément extraordinaire, c’est le fait de jouer en groupe. À certains moments, il se produit une sorte de contact télépathique entre les musiciens, quelque chose d’inexplicable. Le bassiste ou le batteur va jouer exactement ce qu’il faut pour compléter harmonieusement ce que tu fais à un moment donné, ces moments là sont indescriptibles…
10 Fois par jour (Paroles et musique de Daniel Ichbiah) par Denis4Je crois que tu as publié une soixantaine d'ouvrages. Comment es-tu arrivé à l'autoédition alors que tes livres figuraient dans les catalogues d'éditeurs traditionnels ? As-tu bataillé pour récupérer tes droits ?
Il se trouve juste que j’avais énormément de livres qui "dormaient", qui n’étaient plus exploités. Et certains d’entre eux avaient connu un beau succès, comme la biographie de Bill Gates qui avait été un best-seller mais que Pocket avait cessé de publier en 2007 (après sa sortie en 1995). Pour un éditeur, conserver un livre au catalogue n’est pas forcément rentable : il faut le stocker quelque part alors que la demande s’amenuise d’année en année, continuer de verser ses droits à l’auteur et donc tenir une comptabilité alors que ces droits peuvent devenir ténus. Donc, beaucoup d’éditeurs, au bout d’un moment, préfèrent redonner à l’auteur les droits de son livre.
J’avais également le cas d’un livre, ‘Rock Vibrations’ qui n’a pas vraiment eu sa chance : l’édition a fermé peu après la sortie du livre. Or, ce livre me semblait toujours avoir un potentiel ; il raconte comment des tubes tels que « Satisfaction », « Smell like teen spirits », « Hotel California », « Like a Rolling Stone » ou encore « Paris s’éveille » ont vu le jour. J’estimais que ce livre n’avait pas vraiment eu sa chance. Il est sorti fin 2003 et a dû demeurer en vente quelques mois seulement en raison de la faillite de l’éditeur. C’était regrettable car il y avait des anecdotes savoureuses et une belle enquête, notamment ce que m’avait raconté Boris Bergman à propos de la chanson « Vertiges de l’amour » de Alain Bashung. Donc, j’estimais que ce livre avait encore toutes ses chances et je l’ai d’ailleurs proposé à divers éditeurs. Finalement, en février 2012 (soit 9 ans plus tard), j’ai pu sortir le livre sur les librairies numériques telles que l’Amazon Kindle et le succès a été immédiat. J’en ai écoulé environ 500 en une année, ce qui est tout à fait correct si l’on considère que nous sommes encore sur un marché naissant pour ce qui est de la France. Et le livre est très régulièrement n°1 des ventes musique sur Amazon. Quant à la biographie de Bill Gates, idem, elle se vend très correctement. Et c’est le cas pour bien d’autres livres, notamment ‘Téléphone au cœur de la vie’, une biographie du groupe Téléphone réalisée quasi intégralement à partir de témoignages du groupe et de leurs proches. Là encore, le livre était sorti en 2004 et avait eu une carrière courte en version papier pour des raisons qui seraient longues à détailler ici. Il est donc désormais en vente sur le Kindle, sur l’iPad, le Fnac Kobo, Google Play et ailleurs et se vend de manière régulière car il existe encore et toujours de très nombreux fans du groupe Téléphone dans les pays francophones. Entre nous, il n’y a jamais eu à ma connaissance de meilleur groupe de rock en France, non ? En tout cas, je n’en vois aucun qui ait eu le même impact…Comment vois-tu l'arrivée des liseuses et tablettes dans le paysage culturel actuel ? Penses-tu que le support numérique s'imposera rapidement comme seul support de lecture rentable pour les magazines et journaux ?
Franchement, je ne pensais pas au départ que les liseuses seraient aussi séduisantes pour la lecture. En fait, deux choses m’ont conquis très vite. J’adore le fait que sur mon Kindle Touch, je touche un mot et la définition apparaît à l’écran. Donc, il est devenu possible de lire aisément sans avoir à trimballer des dictionnaires pour comprendre pleinement ce que l’on lit. En plus, le fait de pouvoir télécharger des extraits, d’acheter un livre et de le recevoir immédiatement, de pouvoir commencer à lire une minute plus tard, c’est une vraie révolution. Un jour, j’étais aux USA à 4 heures du matin, éveillé. Je me suis connecté à la boutique, j’ai téléchargé des extraits et j’ai pu commencer à lire un livre. Auparavant, c’était impossible et de plus, il faut savoir que dans certains pays, c’est très difficile de pouvoir se procurer des livres en français. En l’an 2003, j’étais dans la même situation, aux USA, et j’avais dû commander des livres à une librairie de New York qui stockait des livres français. Là, la littérature est instantanément disponible et c’est formidable. Pour ce qui est des quotidiens d’information, je pense qu’ils vont inévitablement basculer vers les liseuses et tablettes. En fait, toute information de type éphémère trouve son support naturel dans les liseuses : c’est tout de même idiot d’avoir à gaspiller du papier pour imprimer des quotidiens qui, dès le lendemain, n’ont plus de valeur à nos yeux…
Je crois que tu as 3 romans à ton actif. Peux-tu nous en parler ?
J’ai écrit 3 romans à ce jour, la plupart dans le domaine du fantastique. C’est le domaine où j’ai aisément de l’inspiration, je ne me sens pas particulièrement de raconter des tranches de vie ou alors, il faut que la situation soit vraiment inhabituelle. J’aime l’imaginaire, les planètes avec deux soleils qui te permettent de bronzer des deux côtés, les situations qui transcendent ce que nous vivons dans le présent. Ces trois romans sont :
. Les Banquiers du Temps. 5 individus ont découvert par hasard le pouvoir d’une pierre noire, l’agapurne, qui permet de prolonger sa propre vie en pompant l’énergie vitale d’un autre. Seul souci, l’agapurne fait rajeunir celui qui l’emploie et donc, il doit régulièrement changer totalement de vie, repartir à zéro ailleurs. Et de plus, la possession de l’agapurne n’empêche nullement que l’on puisse se faire tuer. Les 5 héros de cette histoire tentent de vivre comme ils le peuvent la possession de ce pouvoir et certains le vivent comme un enfer - l’un d’entre eux a déjà vécu 400 ans.
. XYZ. C’est l’histoire d’un dieu d’une puissance inouïe mais qui a l’état d’esprit d’un enfant de 6 ans, têtu, capricieux, etc. Il a quitté la planète où il se trouvait car il estime avoir été trahi et s’est réfugié dans une planète qu’il a auto-construit où tout est à son image. L’agent XYZ a été dépêché afin de tenter de le convaincre de revenir car une menace énorme pèse sur l’univers que seul ce dieu pourrait résoudre. XYZ doit donc faire preuve d’une ruse extraordinaire car ce dieu peut se transformer en n’importe quoi à tout moment. Et de toutes façons, il pose comme à l’accoutumée des conditions invraisemblables à sa participation. Par exemple : il veut que l’on abolisse totalement le café au lait sur toute la planète à sauver, car il détester cela…
. Panique sur le Dancefloor. C’est le plus ‘réaliste’ du lot car cela se passe dans l’univers de la dance music. Une fan de Brassens a pété un plomb et lancé une croisade contre la musique des DJs. Au début, elle se contente de saboter les raves parties à sa manière (en introduisant discrètement un disque de Brassens dans la programmation), mais peu à peu, les actions anti DJs deviennent de plus en plus énormes et risquées…
Préfères-tu le travail de romancier, ou bien celui de journaliste ? Y a-t-il des manières différentes d'aborder ces deux métiers ?
Les deux se complètent bien. Le travail de romancier oblige à puiser dans son imaginaire. Le travail de journaliste est plus aisé dans la mesure où nous devons aller chercher les informations à l’extérieur. Le fait de pratiquer les deux en réalité amène un certain équilibre, il permet de rencontrer des gens, d’échanger… Il y a un autre aspect très appréciable dans la fonction de journaliste, c’est que tu peux avoir des coups de cœur et les assumer, par exemple, promouvoir un groupe que personne ne connaît, un DVD qui sinon, pourrait passer inaperçu...
Comment es-tu arrivé à l'écriture de biographies ? Est-ce une question de rencontres, une envie particulière, ou simplement une "déformation professionnelle" de ton travail de journaliste ?
Cela s’est fait naturellement. Tout a commencé avec la biographie de Bill Gates qui a été alors une opportunité énorme car je l’ai rencontré pour la 1ère fois en 1986 à l’époque où je débutais dans le journalisme et où il était fort peu connu, en tout cas inconnu en France et donc très disponible. Lorsque j’ai commencé à écrire sa biographie trois ans plus tard, je voulais raconter les histoires assez dingues relatives aux débuts de la micro-informatique. À cette époque, il était facile pour moi de rencontrer Bill Gates, et aussi ceux qui l’avaient épaulé. J’ai passé une bonne semaine à Seattle, là où se trouve Microsoft, à interviewer des dizaines de gens. Il en a résulté un livre que beaucoup de gens appréciaient mais qui à l’époque s’est fort peu vendu - Bill Gates était pour l’essentiel inconnu. Et puis, lorsqu’il est devenu l’homme le plus riche des USA, le livre a été enrichi puis réédité chez un autre éditeur et là, il a décollé immédiatement !
C’est vrai que cette expérience m’avait donné le goût d’écrire des histoires avec de fortes anecdotes comme celui-ci et donc, j’ai enchaîné avec ‘La Saga des Jeux Vidéo’, qui est peut-être ce que j’ai écrit de mieux à ce jour. En fait, ce livre renferme des anecdotes invraisemblables liées à ceux qui ont crée cet art. Là encore, il est le fruit d’un nombre énorme d’interviews et l’on y trouve des anecdotes incroyables que je suis assez fier d’avoir recueilli - fier dans le sens qu’il aurait été dommage que ces histoires ne soient pas consignées. Je sais que le sujet pourrait rebuter les gens qui ne jouent pas aux jeux vidéo mais en fait, il est lisible par n’importe qui. Dès que quelqu’un le démarre, il ne peut plus le lâcher - c’est juste l’histoire de fêlés qui développent un genre qui n’existe pas, un peu comme ceux qui ont développé le cinéma au début du 20ème siècle. Je pense que dans le futur, ce livre apparaîtra comme un témoignage vital des débuts de ce genre.Si ce n'est pas indiscret et que cela ne te semble pas prématuré d'en parler, quels sont tes projets en cours ou futurs ?
Hmm… Je suis assez dans la mouvance ‘just do it’. Par le passé, j’ai trouvé que parler de mes projets ne me réussissait pas. L’effet est étrange - un peu comme si en parler avant que cela ne sorte le ‘dégonflait’. Je ne sais pas si cela fait la même chose à d’autres, mais pour moi, il vaut mieux ne pas en parler jusqu’à ce que cela se soit concrétisé. Le pire, à mon sens, c’est d’obtenir des compliments avant que cela soit terminé. Je n’arrive pas à expliquer pourquoi, mais cela a tendance à volatiliser un peu de mon énergie créatrice, donc je préfère ne plus le faire. Je trouve même que cela a un effet intéressant : le fait de se retenir d’en parler, alors que parfois la tentation pourrait être forte, c’est comme si l’on maintenait la source d’énergie créatrice…
Pour finir, pourquoi pas un petit exercice ? Peux-tu nous raconter une de tes rencontres les plus marquantes avec une personnalité connue ?
Sans doute Louis Bertignac en juillet 2003, dans le cadre de la biographie consacrée au groupe Téléphone. Je ne m’attendais pas à rencontrer un être aussi aérien, aussi agréable. Il a une présence extrêmement légère, ‘fun’, spatiale… Passer une soirée en sa compagnie, c’est un peu comme faire un voyage en tapis volant.
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