• J'ai quatre heures sur mon portable

     

     

    Ici, on entendrait une mouche voler.<o:p></o:p>

    Mais il n’y a même pas de mouche.<o:p></o:p>

    Même pas de mouche à taper, même pas de mouche à balayer du revers. Il n’y a que le tic-tac de cette putain d’horloge collée au mur, et le boucan du frigo qui se remet en marche à chaque fois qu’il se rend compte que personne ne l’écoute.<o:p></o:p>

    En dehors de tout ça, ça ressemble vraiment à rien.<o:p></o:p>

    Même pas à de l’ennui, parce que l’ennui, lui, implique au moins une conscience de s’ennuyer. Non, ici, ce n’est pas que de l’ennui, c’est pire ! C’est profond, c’est vide, c’est immense et ça résonne en silence. Il n’y a que lorsque je pousse un bâillement à m’en décrocher la mâchoire que je prends conscience que je suis vivant et présent. Alors je bâille à nouveau, puis bâille encore et encore. Une fois que c’est parti, ça ne s’arrête plus. Je suis presque satisfait. Ça ne me rendra pas heureux pour autant, mais ça me donne au moins l’impression de m’imposer, de me faire la place qui me revient de droit, de m’approprier cette espèce de minimum vital.<o:p></o:p>

    Ce que je ressens, en réalité, c’est du désarroi.<o:p></o:p>

    Du désarroi à l’état pur. Une espèce d’immense fatigue céleste qui s’abat au ralenti, et puis la froideur glaciale de tous les déserts humains qui s’engouffrent en moi. Le ciel n’a plus d’étoile, le jour n’a plus de soleil, et les fenêtres n’ont plus rien à respirer ni regarder. Au devant d’elles, se profilent les rideaux, et derrière, se dressent les volets. D’ailleurs, qu’importe ! Dehors, tout est gris et il n’y a rien à voir ! Alors, circulez ! Ou faites au moins semblant, parce qu’au fond, circuler, ça ne change pas grand chose aux paramètres véritables du problème. C’est comme parler, s’agiter, ou bien sourire … Faire semblant, tout ça, c’est la même chose. C’est du tout pareil au même. Par la fenêtre, il n’y a rien à voir, vous dis-je ! Tu peux te pencher, si cela t’amuse. Y mettre le cou dehors, si c’est ton ambition. Le volet est en plastique : la guillotine ne suffira pas ! Y mettre un peu plus que le cou, si tu y tiens. Enjambe même l’appui en béton, si tu veux voler de tes propres ailes : de toute manière, on est au premier, alors tomber, tu sais … Si tu crois que je n’y ai pas pensé avant toi … A croire qu’ils m’ont mis là exprès pour m’emmerder.<o:p></o:p>

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    J’ai quatre heures sur mon portable. Qui les veut ?<o:p></o:p>

     

     

     

    Je n’ose même pas appeler quelqu’un, tellement je n’ai rien à raconter. Je dois être un mec chiant. C’est chiant, les gens qui disent rien. Des fois, les gens qui disent rien, ils ont les yeux qui traînent un peu dans les coins, à lorgner là où rien ne se passe, de sorte qu’on ne sait jamais ce qui peut leur passer par la tête. On ne sait jamais ce qu’ils pensent, ce qu’ils pensent de toi, ce qu’ils font là, pourquoi ils te téléphonent. C’est toujours un mystère, les gens mystérieux. On sait jamais si c’est vide ou si c’est creux. Pour savoir, il faudrait peut-être s’approcher un peu, les amadouer du doigt ou leur chuchoter des hypothèses … Mais comment ça réagit, un type qui ne dit jamais ce qu’il pense ? Tant qu’il n’y a pas de mode d’emploi livré avec, une espèce de notice de décryptage, c’est la galère : obligé de se comporter comme eux ! Etre chiant à son tour. Et puis finalement s’énerver de la situation, s’irriter pour un rien, se mordiller les lèvres de ne pas savoir quoi dire, se faire des nœud aux doigts de ne pas savoir quoi faire. Non, non, c’est sûr, si tu n’as rien à dire, il vaut mieux ne pas téléphoner. Même si c’est pour faire comprendre que tu as besoin de compagnie, qu’il serait bon d’entendre la voix d’un autre frapper à nouveau à la porte de tes tympans, qu’un peu de visite serait plutôt une bonne chose pour laisser enfin entrer un peu d’air frais, non, non, c’est mieux de ne pas le faire. Ce serait « mauvais genre », de très mauvais goût. Ça ne se fait pas, ces choses là. Il y a des manières de faire, tout de même.<o:p></o:p>

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    J’ai quatre heures gratuites. Qui les veut ?

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    Je devrais les vendre !<o:p></o:p>

    Tous les prétextes sont bons, quand on est radin. Trouver un pauvre type ou un grand riche, peu importe, pourvu qu’il ait l’impression d’avoir des choses à dire, et donc besoin d’un téléphone pour le faire ! Lui soumettre l’aumône et lui léguer le fardeau. Parce que c’est un fardeau tout aussi terrible, d’avoir plein de choses à dire et de ne pas savoir à qui les dire ! Car ce n’est pas tout, d’avoir un téléphone : encore faut-il savoir préalablement à quel auditeur adresser son discours ! Trouver la personne adéquate dans le répertoire, celle à qui s’adaptera le mieux le discours, celle qui partagera les mêmes opinions, quant à faire ! Pourquoi se chercher des complications ? Quitte à dire des choses intéressantes, autant en dénicher un qui saura les partager et les reconnaître en tant que telles. Sinon, ça ne ressemble à rien : c’est un fiasco, un gros vent ! Ça décoiffe et ça énerve, ou bien ça te met la honte, selon s’il y a un public ou pas. Oui, il faut encore tenir compte de ça : y a-t-il réellement un public, de l’autre côté du combiné ? Au bout de deux minutes, sera-t-il toujours là ? N’aura-t-il pas décroché ? Ecoutera-t-il toujours ? N’aura-t-il pas plutôt préféré couper le contact, ou couper les ponts ?<o:p></o:p>

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    S’il y a un public, ça demande un peu de préparation.<o:p></o:p>

    Du maquillage aux intonations, des jupons aux métaphores ! Des choses qui passent et qui enjolivent, et qui font que c’est l’éphémère des mots, qui reste, et non la lourdeur des évidences. Ça demande de la préparation, c’est sûr. Des répétitions à vide, entre quatre murs, à voix haute et à grands gestes, afin d’être au top le jour venu.<o:p></o:p>

    Et puis, il faut organiser le discours, trier les idées, ranger les exemples, élaborer la démonstration jusqu’au bout.<o:p></o:p>

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    C’est nul.<o:p></o:p>

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    C’est nul, d’avoir à tout préparer avant même d’entrer en scène ! Lorsqu’on doit s’enfiler un nouveau costume pour la première fois, le raccommodage, tout ça, je ne suis pas pour. Le talent, c’est de métamorphoser les proportions du monde à sa propre dimension spirituelle. Les manches ne sont jamais trop longues lorsque l’on n’a pas peur du ridicule. Et si les manches sont vraiment trop longues, alors pourquoi s’entêter à tue-tête de ne pas vouloir l’accepter, ce grand rôle du ridicule ?<o:p></o:p>

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    Les gens ont trop de volonté.<o:p></o:p>

    Trop d’obstination.<o:p></o:p>

    Ils ne connaissent  plus ce que c’est que l’amour pur des choses et des êtres. Aimer, pour eux, c’est tout ramener à soi, tout calquer sur un modèle personnel, pourtant autant inachevé qu’immuable. L’amour n’est plus de l’amour, lorsqu’il veut ignorer jusqu’au bout ses propres contradictions !<o:p></o:p>

     <o:p></o:p>

    J’ai quatre heures sur mon téléphone.<o:p></o:p>

    Qui les veut ?

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    Moi, je ne peux pas téléphoner : c’est la solitude qui parlerait à ma place.<o:p></o:p>

    Elle est terrible, ma solitude. Elle ne vous laissera pas placer un mot, elle fera taire tout le monde, et puis un silence glacial finira par s’installer, de marbre. Après, c’est une question de gêne, de mal-être … C’est indescriptible, la solitude. Ça n’a pas de texture, pas de matière, pas de forme ni de couleur. Ça ne sent même pas mauvais, ça ne dit du mal de personne et ça ne fait jamais la moindre remarque désobligeante. C’est un peu comme quelqu’un qui ne parle pas, tout compte fait. Quelqu’un qui est là sans rien dire, qui se pose à côté de toi et te suit à la trace où que tu ailles et quoi que tu fasses, qui ne te laisse même pas tranquille pour pisser, même pas tranquille pour exister … Quelqu’un qui reste sans rien dire, qui semble te faire la gueule et qui reste quand même ! Quelqu’un qui s’ennuie à mourir en ta compagnie, mais quelqu’un qui reste quoi qu’il advienne, quels que soient l’heure et le jour, quels que soient les amis que tu invites à ta table. Ça te regarde du coin de l’œil, ça scrute tes moindres faits et gestes, note si tu reprends ou non du pain, de quelle manière tu te rues sur le gratin, de quelle manière tu t’essuies la bouche. Ça ne rit pas, la solitude. Ça dévisage et ça déshonore, ça soupçonne et ça rend coupable, mais ça ne rit pas. Il n’y a jamais de quoi rire, lorsqu’on a la solitude à ses frais. Ça ne sourit même pas aux plaisanteries, ça ne répond pas aux questions, ou alors par oui ou non si ça ne peut pas faire autrement, mais de toute façon, ça ne va pas s’attarder ni sur les explications, ni sur les intonations. Ça sort à chaud ou à froid, mais ça sort comme ça, sans souci de politesse ou de courtoisie, sans charité ni compassion. Ça n’a pas d’état d’âme, la solitude. Tout juste un cœur de pierre histoire d’avoir quelque chose dans la poitrine, mais on ne voit pas pourquoi il faudrait faire des efforts pour faire plaisir aux autres, puisque les autres n’ont pas compris que seul le silence demeure le langage approprié, lorsque l’on reçoit la solitude !<o:p></o:p>

    C’est désagréable.<o:p></o:p>

    La solitude, c’est désagréable.<o:p></o:p>

    Ça l’a toujours été et ça le sera toujours. Parce que ça ne fait pas d’effort et ce n’est pas prêt d’en faire.<o:p></o:p>

    Et puis, plus tu vis avec, et plus ça se colle à toi. Si ça sourit, c’est que ça braconne, et si ça braconne, c’est que ça se moque. C’est méchant, la solitude. Ça n’aime pas les faux-semblants et ça déteste la gentillesse. Ça a le regard sévère et les idées arrêtées, les opinions caricaturées et ça a toujours raison. Ça jette des regards sournois et des sourires moqueurs, des coups de coude pour te prendre à témoin, et des coups de pieds pour te mettre tout le monde à dos. Ça sème le bordel et ça adore la zizanie. Ça démasque les injustices et ça dénonce l’hypocrisie.<o:p></o:p>

    Un instant d’hésitation, et c’est de ta vie, dont elle s’empare ! Un moment d’inadvertance, et c’est de tes amis, dont elle te sépare !<o:p></o:p>

     <o:p></o:p>

    C’est brutal.<o:p></o:p>

    C’est sournois.<o:p></o:p>

    Infaillible, intransigeant et immuable.<o:p></o:p>

    Ça se plie à toi pour te briser, et ça se casse pour te laisser tout seul.<o:p></o:p>

     <o:p></o:p>

    Et puis, quand il ne reste plus rien, quand il ne reste plus que toi et toi, tes moments et tes mémoires, tes échecs et tes morceaux, tes défaites et ta déchéance, alors, à ce moment-là et à ce moment-là seulement, tu comprends que la solitude, ce n’est pas une femme, que l’on ne s’entoure pas d’elle comme on s’invente une nouvelle vie, qu’on ne s’en empare pas comme on découvre un trésor.<o:p></o:p>

    La solitude, c’est vide.<o:p></o:p>

    Ça n’a pas de couleur ni de texture.<o:p></o:p>

    Pas de forme ni de matière.<o:p></o:p>

    Pas de fond ni de poignée.<o:p></o:p>

     <o:p></o:p>

    Ça ne fait pas d’efforts, et pourtant, ça gagne à tous les coups.<o:p></o:p>

     <o:p></o:p>

    De toute façon, les états d’âme sont à l’âme, ce que la conscience est à l’esprit : la cause de toute douleur.<o:p></o:p>

     <o:p></o:p>

    Alors, franchement …<o:p></o:p>

    Qui les veut, ces quatre heures de téléphone ?

     

     

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    « Le pire du pireL'angoisse de la plume qui se casse »

  • Commentaires

    1
    visiteur_sanieptia
    Samedi 18 Février 2006 à 20:49
    J'aurais pu ?ire ce que je viens de lire ?ne ?que, sauf qu'?ette ?que, je n'?ivais pas.
    Bon courage.
    Si vous ne savez pas quoi faire de votre vie (et de votre solitude) vous pouvez toujours r??ir aux diff?ntes possiblit?qui s'offrent ?ous afin d'am?orer la situation.
    Et comme vous semblez prendre plaisir ?crire, tenez-nous au courant de vos tentatives ; cela fera de la litt?ture tragi-comique, de la litt?ture de t?igage, le genre que j'appr?e.
    Bon courage encore un fois.
    2
    charliebregman
    Lundi 20 Février 2006 à 09:34
    Merci pour les encouragements qui me vont droit au coeur !
    Mais rassurez-vous, mon cas n'est pas si d?sp? ;)
    J'esp? effectivement pouvoir vivre de mon ?iture un jour, mais je sais que c'est tr?difficile, et, pour le moment, je ne me sens pas encore pr?...
    :(
    A bient?
    3
    visiteur_Liliput imp
    Mardi 28 Août 2007 à 22:40
    Je me plains du manque de textes neufs ces derniers temps, mais je voulais dire que la relecture des vieux articles est un pur r?l quand m? ! Bravo !
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    4
    visiteur_bregman
    Mercredi 29 Août 2007 à 21:07
    Ahhhhh ! Ben voil? Un compliment !
    J'ai cru que tu t'?is sp?alis?en harc?ment moral pour bloggueurs qui tra?nt la patte !!
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