Quand le jour J est arrivé, majestueux et majusculé, je fus comme habité d’une sournoise nervosité, à m’agiter dans tous les sens, à remuer ciel et terre pour des détails, à chercher midi à quatorze heures, enfiler des pardessus à l’envers et me retrouver dans des endroits sens sus dessous … Je fis le tri dans mes affaires, un peu comme un prisonnier à qui l’on vient d’annoncer la libération imminente, je vidai même mon sac aux ordures et renfilai mes rancoeurs au fond des poches, et puis l’heure H est arrivée. Et puis la minute M. M comme aime-moi, M comme qu’est-ce que je t’M, M comme tout ce temps tellement perdu passé bien loin l’un de l’autre, à se chercher aux aurores et se croiser en nocturne, comme deux funambules qui n’empruntaient jamais le même fil. J’ai égrené les secondes, comme un compte à rebours flanqué là contre ma porte, derrière laquelle allait bientôt venir se présenter enfin le vrai bonheur de vivre et de faire l’amour ! Trois, deux, un …
Rien.
Trois, deux, un ? …
Toujours rien.
Impatient tel le nouveau né à qui l’on vient de promettre la têtée, j’ai d’abord jeté le moins précieux de mes deux yeux à travers l’œilleton, fait tourner la clef et puis tourner la porte sur ses gonds, et là …
Rien. — Bonjour ! Vous avez du courrier ! Surgie de nulle part, une tête de concierge coiffée comme une vieille chouette m’a flanqué un papier doux contre le visage, avec ton odeur en guise de marque-page. J’ai respiré un grand coup ce parfum si précieux et ennivrant qui est le tien, et j’ai décacheté la lettre comme si ton corps tout entier et tout nu s’y trouvait intact blotti là dedans.
Là, en gros, en gras, en clair et en net, le torrent a débordé ! La terre a tremblé, un volcan s’est mis à postillonner et dans un grondement terrible, le ciel tout entier s’est écroulé : — Je ne viendrai pas, j'ai décidé d'en aimer un autre.