• Papa est un écrivain, tu sais ?

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    Papa est un écrivain, tu sais ? Ah, bah non, je suis bête, tu ne peux pas savoir, puisqu’il n’écrit pas sous son vrai nom.
    C’est son petit secret, à Papa.
    Il le garde bien précieusement, en attendant de pouvoir gagner suffisamment d’argent pour que personne n’ait à lui reprocher de faire un métier absolument insignifiant.

    Il m’a déjà expliqué que pour avoir l’air d’être une grande personne, c’est important de montrer que ce que l’on fait dans la vie rapporte de grandes satisfactions financières. Planter des arbres ou des fleurs, protéger des animaux, prendre soin des enfants, écouter les gens et les rassurer, et puis écrire des livres pour les accompagner dans leur immense solitude et leur fournir un mode d’emploi pour appréhender la vie, tout ça, c’est comme peindre des tableaux, jouer de la musique, monter sur des planches, jongler, faire le clown ou le trapéziste. S’il n’y a pas de grosses sommes qui arrivent à la fin du mois sur ton compte en banque, c’est comme si cela n’avait absolument aucune importance, et donc comme si tu ne valais absolument rien.

    Donc Papa, il a un vrai travail la journée. Un travail qui ne sert à rien, mais qui lui donne l’impression d’être quelqu’un aux yeux des autres, et puis la nuit, il écrit.

    Et comme il est frustré de devoir jongler avec deux vies en même temps, durant lesquelles il doit réduire ses heures de sommeil, Papa, quand il rentre du boulot, il est tout énervé et c’est à peine s’il dit bonjour à Maman. Il regarde la table pas mise, puis sa montre, puis à nouveau la table pas mise d’un côté, et Maman de l’autre, qui reste plantée devant lui, tout héroïque au pied de son nouveau bon d’achat qu’elle secoue au-dessus du front de Papa qui commence déjà à se dégarnir.
    Comme si ça allait lui sauver ses cheveux, à Papa.
    Pff ! N’importe quoi.

    — Argent facile ! Les couches sont pas passées au bon prix : et hop, c’est pour qui, les trois euros en bon d’achat ?

    Papa émet un « hum » pas très enthousiaste.
    Il a faim, Papa. La table pas mise, ça lui donne encore plus faim. Si le bon d’achat était comestible, il serait déjà tout au fond de son estomac, pour commencer les préliminaires d’un travail de digestion qu’il aimerait bien pouvoir conclure au plus vite, Papa.

    — Je sais pas ce qu’ils foutent, dans ce magasin, mais ça ne passe pas une semaine sans qu’il y ait une erreur. On a intérêt à tout contrôler, aujourd’hui, c’est moi qui te le dis !

    Papa, je crois qu’il ne les écoute pas, les exploits de Maman.
    Ventre affamé n’a point d’oreilles, il paraît.
    Eh bien voilà, c’est ça : Papa, il a tellement faim qu’il se précipite sur le frigo pour prendre en otage un yaourt qui ne lui a strictement rien fait, et le voilà qui menace Maman de commencer par le dessert s’il n’y a rien de prêt. Ensuite, sans même lui laisser le temps de répondre, il décapsule le petit pot de plastique, et avale le pauvre yaourt en six cuillérées, raclage compris, et le tout sans respirer, évidemment.

    Après une grosse inspiration de plongeur en apnée, Papa change de tactique en se vidant dans le gosier deux gros verres d’eau du robinet, celle qui n’est pas bonne et que Maman dit que c’est du poison.

    Il y va fort, Papa. Vouloir se détruire à coup de grands verres de poison liquide pour une histoire de table pas mise, il faut quand même exagérer, non ?

    Puis il rouvre le frigo pour en sortir deux cornichons, qu’il engouffre comme un pélican qui doit se faire des réserves, il fait un bisou dans le cou à Maman, et lui demande s’il peut disparaître.

    Maman, bon public, lui donne toujours son accord pour ce tour de magie qui n’en est pas un. Mais il ne faut pas me prendre pour une demeurée : il ne fait que passer dans la chambre, là où il y a l’ordinateur. Si c’est ça, disparaître, je peux le faire tous les jours !

    Depuis le parc, dans le salon, en collant l’oreille au mur à travers le filet, je l’entends jouer du clavier informatique comme un virtuose.
    Whaou !
    Et dire qu’il fait toujours ça sans public…
    Elle a raison, Maman. Papa, c’est vraiment un pauvre papa.

     

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    Extrait de "Sourire aux coqs, pardonner aux ânes, et rester zèbre !" Charlie Bregman

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