• Toi

     

    J’aurai tout essayé, pour t’oublier. D’abord le déni, et puis enfin la fuite en avant. Je me serai jeté dans les bras d’une autre, pour lui brûler les ailes et j’en suis désolé, mais j’aurai au moins essayé. J’aurai pris mes distances, maudit ta ville. Si j’avais pu, je te jure que j’aurais même fait mettre des scellés autour de ton immeuble, mis ton quartier sous verre et empêché quiconque d’y pénétrer. C’est frustrant, de ne pas être un conquérant, un empereur ou un dictateur. J’aurai relu tes lettres cent ou bien mille fois, tes lettres si belles, si nécessaires, et à l’issu si cruelle. J’aurai tout jeté au feu, tout brûlé, tout laisser partir en fumée, pour que cela n’existe plus, pour que cela n’ait jamais existé.

      

    J’aurai arrêté mes études, gribouillé mes diplômes, déchiré mes honneurs, mis sens dessus dessous mes appartements,  fait des vagues sous lesquelles j’aurais pu me noyer, et c’est peut-être bien ce que je recherchais, au fond, mais c’est mon imagination qui est venue me sauver. Cette imagination dont tu me disais être prisonnier. Cette imagination qui t’a fait frapper à ma porte. Qui m’a fait revenir à la vie. Qui a remis de l’air dans mes poumons. Ça fait très mal, d’ailleurs, de remettre de l’air dans ses poumons. Tu n’auras pas connu ça, toi. Pas eu ce privilège.

      

    Tes yeux verts, je ne les ai jamais oubliés. Tes premiers câlins, je les ai encore dans la peau. Ils me brûlent, me consument, me ravagent de leur manque. Ce manque que je n’ai jamais su combler.

      

    J’aurai fui les villes où un souvenir de toi aurait pu venir me posséder, fui les objets qui m’auraient ramené à toi, haï les totems idiots qui auraient pu me hanter, ou les musiques de Bryan Adams que tu as pourtant tellement aimées. Tu peux être fier de m’avoir allégé les goûts et les couleurs, tu sais ? Mis de l’ordre dans les profusions, du vide dans l’abondance.

      

    J’aurai détruit ces brouillons d’archi que tu aimais bien, ceux sur lesquels tu m’encourageais, et ceux pour lesquels tu te moquais de moi. Déchiré ces calques de centaines d’heures sacrifiées, d’encre de Chine indélébile aux esquisses et aux utopies finalement rendues bien inutiles. Refermé les cahiers de mes écritures. Tiré un trait sur toutes mes belles théories, sur mon amour de la philosophie, sur Nietzsche, Schopenhauer, Bachelard et Foucault.

      

    J’aurai banni ton prénom, si beau, pourtant. Donné des surnoms à celles qui avaient l’affront de porter le même que toi. Plus jamais prononcé cette douceur-là, cette saveur-là. J’aurai changé les mots de passe de mes boîtes aux lettres, les codes d’accès de mes fichiers. Abandonné mon destin, mes rêves illusoires, mes idéaux d’ado, mes ambitions de battant, enfoui ma volonté de réussir, annihilé cette rage de vaincre, cette stupidité à vouloir être le meilleur, cet égarement à vouloir gagner beaucoup d’argent … J’aurai scellé les coffres de mes libertés, cadenassé ceux, aussi, de mon droit à être aimé, de ton autorisation jamais prononcée à me l’autoriser.

    Enfermé mon bonheur, de peur de trahir notre malheur.

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    Mais aujourd’hui, je voudrais retrouver la clef : vivre à nouveau et t’être infidèle.

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    Donne-moi un signe, aide-moi, montre-moi la voie !

    Envole-moi un moment avec toi et donne-moi ton accord, ta bénédiction !

     

    Réincarne-toi, fais quelque chose, reviens en chat, en chien, en hamster ou en oie, s’il le faut, mais rends-moi cet amour, bordel !

     

    Je fais comment, moi, pour vivre sans la seule eau potable de ce désert ?

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    IMAGE : yolks_yogurt

     

     

     

     

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