• Deux auteurs et une écriture à quatre mains

    J'ai rencontré Élise Lancien-Isnard et Samuel Campfort en mai dernier au salon du livre de Jonquières (cf mon article plein de dérision sur cette expérience), le seul auquel j’ai d’ailleurs participé jusqu’à ce jour.

    Ces écrivains de Provence n’ont pas été sélectionnés pour la rentrée littéraire 2013… Quelle injustice ! Mais je les ai interviewés et ils se livrent ci-dessous.

    Laissons-les d'abord se présenter séparément avant de les interroger sur leur écriture singulière. En effet, ils ont la particularité d’écrire à quatre mains…

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    Élise d'abord, peux-tu te présenter ? 

    Parisienne de naissance, provençale d’adoption, je suis mariée et vis dans le Luberon depuis presque 30 ans. Des études universitaires de littérature et de linguistique, une carrière à l’international dans le milieu de la banque, un accident du genou, une remise en cause de mon avenir dans un métier que j’ai aimé et une décision radicale : quitter le monde de la finance pour revenir à mes premiers amours que sont la littérature et l’écriture. 

     

    Quand t'es-tu découvert cet amour pour l'écriture ? 

    J’aimais et j’aime toujours lire, j’étais et je suis toujours une passionnée des écrits de Balzac. Je crois que c’est la manière d’écrire et de décrire ses personnages, de ce grand écrivain français quelque peu délaissé de nos jours (à tort) qui m’a donné l’envie de prêter ma plume aux anonymes. J’aime écrire, j’aime les gens, la boucle était bouclée, mon nouveau métier serait conseiller littéraire au sens le plus large avec comme spécialité : le récit de vie. 

     

    Peux-tu nous en dire plus sur ces récits de vie ?

    Ce sont principalement des biographies que j’écris dans leur totalité, mais je peux proposer d’autres services, comme l’accompagnement littéraire, le diagnostic littéraire, la correction complète ou bien encore la réécriture complète d’un manuscrit, etc.

     

    Samuel, même punition.  Qui es-tu ? 

    Samuel Campfort, né en 1976 en Anjou. Après avoir fait des études à Saint-Nazaire et au Havre dans le domaine du Génie Civil et de l'architecture, j'ai commencé à travailler sur Paris dans l'ingénierie et dans l'immobilier. Mais mon côté créatif et artistique a rapidement pris le dessus pour m'échapper. J'ai abandonné l'immobilier pour travailler d'abord dans le milieu de la photographie et de l'optique, ce qui m'a ouvert les yeux (voyez-y toutes les allusions que vous imaginez !) Je devais quitter Paris, changer de vie et venir m'installer en Provence, entre L'Isle sur la Sorgue et le Luberon. Pas mal, comme cadre de changement de vie ! 

    Mais la vie a des hauts et des bas. Les hauts avec l'amour et les bas avec le combat contre un cancer. C'est à ce moment-là qu'Élise est entrée dans ma vie. À côté de cela, j'aime à dire que je suis écrivain-maître d’hôtel car on ne vit pas que d'amour et d'eau fraîche, que d'écriture et d'épicurisme. Alors depuis 2011, j’ai travaillé successivement au service d'un hôtel-restaurant de mon village (Lagnes) en tant que serveur et caviste puisque la vigne et le vin sont mes autres passions et, depuis peu, en tant que responsable de salle dans une résidence services seniors. 

     

    Quels sont tes écrits ? 

    J'ai rencontré Élise en décembre 2007 lorsque j'étais en pleine chimiothérapie. J'avais quelques pages d'écriture dans un tiroir. J'en ai fait part à Élise qui est conseiller littéraire. Nous avons travaillé dans un premier temps ensemble sur la biographie (qui reste privée) d'un fragment de ma vie. Cette biographie-thérapie terminée, ma relation de travail avec Élise s'est petit à petit transformée en relation d'amitié. Et je peux dire que c'est grâce à Élise que l'écriture est devenue importante pour moi.

     

    Quand t'es-tu découvert cet amour pour l'écriture ?

    Avant d'aimer écrire j'ai toujours aimé lire. Lire toutes sortes de livres : romans, essais, romans historiques… Je me suis toujours intéressé à l'histoire des lieux où je suis et/ou que je visite. Mon arrivée en Provence et mon amour pour le patrimoine et l'Histoire m'ont donné envie d'écrire sur ce qui m'entourait, à savoir la région du Comtat Venaissin, le domaine du papier (dans lequel j'ai travaillé à Fontaine de Vaucluse entre 2008 et 2010), mon village et la découverte d'une curiosité locale : le mur de la peste. Mur qui est devenu un des thèmes centraux de mon premier roman en 2011. Ce roman, je l'ai élaboré grâce au soutien d'Élise qui m'a aidé à mettre de l'humanité dans mon tapuscrit.

     

    Pouvez-vous nous raconter le jour de votre rencontre et nous expliquer comment vous est venue l'idée d'écrire à quatre mains ?

    S.C. : Nous nous sommes rencontrés par une soirée fraîche comme il y en a dans le Luberon en décembre. C'était en décembre 2007, Élise avait un stand dans une maison d'hôtes qui organisait un marché de Noël. L'essentiel des exposants étaient des artistes peintres, décorateurs, designers. Élise était la seule en tant que conseiller-littéraire. Je me suis intéressé à son travail, je l'ai contactée quelques semaines plus tard pour lui présenter mon manuscrit de projet de biographie. Et c'était parti pour une longue aventure d'écriture. Écriture qui s'élaborait sous forme de séances d'enregistrement  après lesquelles Élise retranscrivait mes dires sur papier.

    L'idée d'écrire à quatre mains est venue plus tard. En 2009, lorsque je lui ai présenté mes brouillons de ce qui est devenu Ambroise Baumière ensuite. Nous nous retrouvions très régulièrement pour retravailler, chapitre après chapitre, ce nouveau roman ensemble.
    [interview audio sur YouTube au sujet du roman Ambroise Baumière]

     

    Avez-vous un projet à quatre mains en cours d'écriture ou en vue ?

    S.C : Nous ne pouvons pas le cacher : oui ! Après mon premier roman auto-édité, j'en ai publié un second en été 2012 : La quête des orphelins. Élise, de son côté, a auto-édité elle aussi un manuel et essai intitulé Écrire ses mémoires à l'automne 2012. Mais nous ne pouvions nous arrêter là. Après plusieurs essais échafaudés sous forme de guide touristique, de pièce de théâtre, nous sommes partis dans l'écriture d'un roman dont nos héros s'appellent Elwina et Thomas. Mais même sous la torture, Charlie, tu ne sauras que cela !

     

    Comment vous organisez-vous pour écrire ensemble ? 

    S.C : Tout d'abord, nous nous entendons parfaitement bien. Et nous avons l'un pour l'autre un très grand respect. Élise est devenue depuis longtemps une amie. Chaque rendez-vous régulier, environ toutes les deux semaines est avant tout un rendez-vous d'amitié. Nous parlons beaucoup et nous échangeons sur tout autour d'un café, d'un verre de vin, et même autour d'un repas.

    Notre organisation est à la fois simple et compliquée à expliquer. Nous avons chacun nos domaines de prédilections et nos sources d'inspiration, et puis nous les partageons l'un avec l'autre.

     

    Est-ce que certaines tâches incombent davantage à l'un qu'à l'autre ? 

    S.C : C'est difficile à dire. J'ai un esprit très créatif. Les idées débordent. Élise est là pour les recentrer et ajuster, les étoffer et les humaniser.

    Élise est une femme avec une sensibilité de femme et homme, car elle arrive tout aussi bien à se mettre dans la peau des deux sexes (du moins, pour l'écriture !) Et je suis un homme avec une sensibilité d'homme et de femme, car pour moi dans l'écriture, peu importe le sexe, il faut tout simplement de l'humain et de la liberté. Nous sommes aussi de deux générations différentes, et c'est aussi ce qui nous rend complémentaires.

    E. L-I : Samuel a 37 ans et j’en ai 60, ce qui nous donne, vous l’aurez compris, une expérience et une vision du monde bien différentes.

     

    Ecrivez-vous ensemble dans la même pièce, ou est-ce que votre collaboration se fait à distance, chacun apportant sa pierre à l'édifice avant que l'autre puisse y apporter sa touche personnelle ?

    E. L-I : J’écris dans la salle de bains, Samuel dans la cuisine. Non, it’s a joke ! Bien sûr nous écrivons à mon bureau, dans la même pièce, mais chacun apporte sa pierre à l’édifice. Samuel apporte l’originalité, l’inventivité, la jeunesse, alors que moi, je m’occupe principalement de l’écriture.  Ce sont là les frontières établies de notre travail à quatre mains. Mais dans la réalité, l’écoute bilatérale nous permet de mélanger nos compétences, tant sur le fond que la forme.

    S.C : Nous essayons d'abord de partir sur un thème en commun, et ensuite nous travaillons chacun de notre côté pour nous relire ensemble et pour nous corriger afin d'avancer dans nos idées et notre histoire.

     

    Chez les écrivains, on constate deux façons de concevoir le récit : certains ont besoin d'élaborer un plan dès le début, privilégiant ainsi la structure de l'histoire plus que la façon de la raconter, et pour d'autres, ce sont les mots et l'inspiration qui créent le livre au fur et à mesure, dans un voyage dont on ne doit surtout pas connaître la fin au préalable. Comment travaillez-vous ? 

    S.C : Alors, bravo Charlie. Tu es tombé dans le mille car là nous avons deux façons de voir les choses, Élise et moi. De mon côté, j'ai besoin de connaître le début, le milieu et la fin de d'histoire, tandis qu'Élise, pour sa part, se laisse aller au gré des découvertes.

    E. L-I : Un plan, oui et non. Je vais élaborer un plan, à savoir un début et ce vers quoi je me dirige, sans plus. La structure se mettra en place au fur et à mesure de l’écriture. Samuel, dès le départ, sera plus dans le détail pour chaque chapitre. C’est aussi en cela que nous sommes complémentaires nous permettant ainsi d’avancer plus vite. Je pense que si nous fonctionnions de manière identique, si nous avions le même âge, si, si, si… notre écriture à quatre mains serait certainement sujette à quelques prise de becs. Alors, tu vois, nous avons trouvé, sans le vouloir,  dans cette collaboration étroite, un équilibre littéraire certain.  

     

    Quels sont vos genres et vos auteurs préférés ? 

    S.C : Romans de voyage, romans historiques, romans entre le policier et le psychologique.

    Je n'ai qu'un auteur préféré dont je crois tout connaître : Théophile Gautier !

    E. L-I : Toujours Honoré de Balzac, que je porte au pinacle des écrivains français. Pour son style d’écriture, la modernité de ses personnages, etc.

     

    Avez-vous des livres cultes ? Lesquels, et pourquoi ? 

    E .L-I : La Comédie Humaine dans son intégralité. Pourquoi ? Parce que dans cette œuvre, Balzac a couvert tous les genres. Du roman philosophique, réaliste, fantastique, romantique, en passant par le conte, la nouvelle, l’essai. Avec son travail exceptionnel il a servi de référence à son siècle et au siècle suivant. Qui connaît d’autres auteurs ayant touché ainsi à tous les genres d’écriture ?

    S.C : Pas vraiment de livres cultes. Je suis trop curieux de tout.

     

    Qu'est-ce que la littérature, pour vous, en une phrase ? 

    E. L-I : Mieux que ça, en un mot : LA LIBERTÉ !

    S.C : C'est la liberté, effectivement. L'évasion, la curiosité et le savoir. J'aime tout simplement que l’on me raconte des histoires. C'est certainement ce qui m'a manqué lorsque j'étais tout petit.

     

    Et enfin, un petit exercice de style comme j'aime en donner aux auteurs : racontez-nous ce qui peut bien se passer dans la tête d'un auteur qui expose à un salon où les lecteurs ne se bousculent pas, comme cela a été le cas à Jonquières en mai dernier ? 

    E. L-I : L’auteur se demande ce qu’il fait là ! Ayant une expérience participative, de quelques années, sur les salons régionaux, force est de constater que la littérature, la culture, la lecture, le livre, ne font plus ce qui fait déplacer les foules. Je le déplore car je me répète : le livre, c’est la liberté !

    S.C : On part toujours pour un salon en se disant « Aujourd'hui on va vendre 8 ou 10 livres… » Et en fait nous sommes un parmi tant d'autres, perdu dans la masse avec nos pauvres petits livres qui prennent plutôt la poussière que les empreintes des doigts de nos potentiels lecteurs. Alors on se dit que l'on fait bien, avec Élise, d'organiser nos propres dédicaces dans des lieux insolites où personne ne nous attend, pour alimenter la curiosité du public. Et là, ça fonctionne beaucoup mieux !

     

    Quel est le concept de votre blog "Singulières écritures" ?

    E. L-I : Nous aimerions bien susciter, avec nos sujets très hétéroclites, le désir de se mettre ou de se remettre à la lecture. Mais là aussi, ce n’est pas facile d’intéresser les gens préoccupés par leur quotidien.

    S.C : C'est notre carte de visite sous la forme informatique. C'est aussi le moyen de mentionner nos actualités et celles de nos amis.

     

    Où peut-on trouver vos publications ?

    S.C : Directement sur nos sites Les Lettres à Élise et Singulières Écritures, qui sont les premiers espaces de vente de nos livres,  au format papier mais aussi au format numérique.Ou alors dans diverses librairies du Vaucluse… lors de nos dédicaces.

     

    Justement, où peut-on vous rencontrer, en général ?

    E. L-I : Sur les salons en région. Mais aussi dans des endroits où nous ne sommes pas attendus. Je m’explique : il est logique de nous trouver chez les libraires, dans les salons littéraires, mais nous avons remarqué et testé positivement que lorsque nous faisions une séance de dédicaces dans un lieu insolite, des futurs lecteurs venaient vers nous, la curiosité leur faisant engager la conversation plus facilement. Et c’est ce que nous aimons, rencontrer, partager avec ces anonymes, c’est pour nous une véritable richesse. Merci Charlie pour cet interview.

    S.C : Merci Charlie.

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  • Commentaires

    1
    ALAIN
    Vendredi 5 Juin 2015 à 16:32
    Voilà une expérience peu singulière ! L'écriture à quatre mains est difficile, il faut que les deux personnes aient une façon d'écrire assez similaire, et un objectif qui ne risque pas de se couper en deux au fur et à mesure qu'ils progressent dans le travail d'écriture. J'ai parfois déjà du mal à travailler avec moi-même, alors l'écriture à deux, je ne tenterai même pas !
      • charliebregman Profil de charliebregman
        Vendredi 5 Juin 2015 à 22:44
        C'est effectivement assez difficile car cela exige d'être sur la même longueur d'ondes. Par contre, le regard de l'autre peut vraiment apporter un vrai plus à un auteur. Le fait de travailler en permanence sous ce regard ne peut donner que de bons résultats...
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