Je suis l’ami des mamies.
Je n’ai pas d’ami, pas d’amie, pas d’amour ni d’intérêt. Je suis l’être ordinaire qui croise tout le monde et qu’aucun regard ne croise. L’absent présent. Celui qui passe et qu’on ne regarde pas. Le muet d’un monde aveugle. L’ombre d’un spectacle qui ne me mettra jamais en lumière. Mon banquier ne m’aime que pour ce que je lui donne, mes collègues ne m’apprécient que pour l’aide que je leur procure, mon patron me paie par politesse et me sert la main par obligation, les femmes prétextent souvent une grosse grippe, un rhume ultra contagieux, et même ma mère ne m’apprécie pas.
Je n’ai pas de femme, pas d’enfant, pas de but et pas de plaisir.
Je suis l’ami des mamies.
Avec elles, j’ai la cote. J’ai la cote qui monte en flèche et la solitude qui se met en berne. J’ai le charme de leurs amants oubliés et la jeunesse de leurs amis enterrés. J’ai la gentillesse et la politesse, et elles m’offrent leur tendresse et leurs caniches au bout de leurs laisses. Elles doivent parfois penser à moi dès qu’elles se lèvent, avant d’enfiler leurs robes de chambre molletonnées, leurs pantoufles de coton et leurs dentiers de fortune. Elles font un pas vers leurs volets, qu’elles ouvrent tout grand, et puis se font couler un bon vieux café bien chaud, un de ces cafés aux odeurs qui ne se racontent pas, et au goût qui ne s’oublie pas. Leurs tasses de porcelaine se mettent à chanter du bout de leurs cuillers d’inox, et les fleurs de leurs grands vases s’étirent et se réveillent, pendant que l’air frais fait valser leurs rideaux et frétiller leurs journaux de la veille.
A huit heures précises, je suis l’ami des mamies.
La première se colle à la fenêtre pour me voir sortir de chez moi, et m’adresser un petit coucou timide assorti d’un large sourire plein de compassion. Et puis c’est sa voisine, et puis l’autre, et puis encore des dizaines d’autres, dont j’attrape les bonheurs complices au fur et à mesure de ma traversée de cette grande ville que je connais maintenant si bien.
Et puis là, juste au-dessus de l’entrée de mon boulot, il y a Simone.
Simone, je suis sa raison de vivre.
Des bigoudis plein la tête et des yeux qui lui sortent des orbites. Une tête toute flétrie pour une robe de chambre pleine de plis.
Le regard inquiet, le visage grave, l’inquiétude pesante. Arrivera-t-il, arrivera-t-il pas ? La grande horloge, tic tac, flic floc, la place qui ne désemplit pas, vroum, tut, vas-y connard tu peux pas avancer ? Tic tac, flic floc, c’est long, la solitude, c’est épuisant, la vieillesse, il y a un journal et un pain à aller chercher, quelques badauds avec qui discuter mais que fait-il, lui, il ne vient pas aujourd’hui ?
Simone a la vitre contre le front, et la marque du froid qui lui anesthésie toute l'impatience.
Et puis j’arrive.
Alors tout s’accélère et tout s’illumine. Les yeux, la tête, la robe de chambre et les bigoudis, tout se met à bouger. Les petits doigts tapotent à la fenêtre et la fenêtre s’entrouve, l’air glacial s’engouffre violemment entre ses petits mollets plein de bleus, et Simone vient immédiatement jusqu’au bord du grand balcon, pour m’adresser l’ultime salut de ceux qui veulent mourir et qui ne meurent point, et aaarghhhh, il va faire beau aujourd’hui ! Il va faire beau mais il ne fait pas chaud, hein ? Brrrrr… Et puis la neige n’est pas loin, hein ? Ohhh, ça oui, il vaut mieux rester au chaud !
J’acquiesce.
Je souris.
J’ai peur que son dentier me tombe dessus mais j’arrive à rester de marbre. Ne vous penchez pas trop, Simone ! Vous allez salir votre jolie robe de chambre !
Je lui parle de la météo que je n’ai pas vue, de la neige que je n’ai pas touchée, et du sol glacé qui est juste sous mes pieds. Vous ferez bien attention, hein ? Vous n’irez pas faire du patin à glace en allant chercher votre journal, pas vrai ? Il faudra faire bien attention : le sol est hyper glissant et c’est vite fait de se transformer en acrobate par un temps pareil !
Vous le lisez le journal ?
Non. Elle ne le lit pas beaucoup. Mais il y a tout de même des images, alors ça l’occupe.
Vous le mangez, votre pain ?
Ah oui. Elle le mange tout les jours. Parfois, il en reste un peu, mais il est quand même drôlement bon et puis quand il en reste trop, c’est sa fille qui le récupère et elle le donne à des chevaux. Ils aiment bien ça, les chevaux ! Ça adore le pain, ces bêtes-là !
Je suis l’ami des mamies. Quand elles me voient, ça leur fait comme une petite cuiller à café de bonheur dans le cœur.
Je suis l’ami des mamies, et pourtant, demain, je ne serai pas là.
Je démissionne. Je pars, je fuis, je m’en vais.
Je quitte la ville pour pars gagner un peu plus ailleurs.
Rien ni personne ne me manquera.
Sauf peut-être Simone.
Simone qui ne me reverra pas.
N'OUBLIEZ PAS ! DIMANCHE 2 MARS, c'est la fête des Mamies !!!
Je suis triste pour Simone :-( Il y a des passages que j'aime vraiment beaucoup, en terme d'?iture, dans ce texte. En plus, je note que les points d'exclamation se sont fait rares... Charlie, je suis impressionn?!
Il y a des passages que j'aime vraiment beaucoup, en terme d'?iture, dans ce texte. En plus, je note que les points d'exclamation se sont fait rares... Charlie, je suis impressionn?!