Le médecin fit aussitôt un pas en arrière, comme si la grosse plaque rouge que j’avais sur le bras allait lui sauter à la figure.
— Hum …
Sa tête allait d’avant en arrière, tout en maintenant ses yeux fixés sur ce que j’étais venu lui soumettre.
— Hum …
Je faillis lui demander si cela lui paraissait grave, mais je pense qu’il ne m’eût pas entendu. Je restai donc patient, et attendais calmement son verdict de spécialiste.
Il fit l’effort de s’approcher - d’un pas très prudent - vers mon bras.
Puis il avança vers mon coude, du bout des doigts, une de ces languettes de bois qui servent d’ordinaire à vous faire dire « aaaah », et il gratta quelques desquamations, qui le firent à nouveau bondir en arrière, comme un grand cheval qu’une grosse mouche eût piqué.
Je le regardais avec stupéfaction.
Il me regarda à son tour, d’un air franchement navré, et dit :
— Il faut aller voir un dermatologue.
Il me pria de vite me rhabiller, m’indiqua que je lui devais vingt euros, s’empressa d’aller saisir la poignée de la porte ouvrit tout grand, et lança un « au suivant » sans me serrer la main.
La secrétaire, qui n’était manifestement au courant de rien parce que les murs sont bien insonorisés, prit la peine de lever le nez de son agenda surchargé, et m’adressa un « au revoir, bonne soirée » de courtoisie qui ne suffit pourtant pas à me redonner le sourire.
Dans l’ascenseur, je grattai généreusement mon coude afin d’en faire tomber toutes les desquamations que je n’avais pas voulu faire tomber auparavant, de peur de fausser le diagnostic.
Deux étages plus bas, dans un vacarme assourdissant, une vieille dame qui tapotait avec la crosse de son parapluie contre la vitre de la porte de l’ascenseur, vint se coller à moi en faisant la conversation à son vilain chien court sur pattes, qui se déplaçait comme un crocodile. Si j’avais eu un manche à balai de disponible sur moi, je lui aurais d’ailleurs bien enfilé dans le rectum, à son crocodile, car une serpillère est tout de même bien plus aisée à traîner derrière soi qu’un reptile canin à moitié aveugle et impotent, mais hélas, il faut toujours que l’on soit pris à dépourvu dans ce genre de situation, et je me contentais donc de subir l’odeur nauséabonde de ce couple incongru qui venait d’envahir mon espace vital.
Le doigt scotché au bouton indiquant le rez-de-chaussée, la vieille peau, dont l’haleine fétide m’obligeait à ne plus respirer jusqu’à ce que les portes s’ouvrent à nouveau, somma son chien de se retenir de ne pas uriner par terre avant d’être à l’extérieur, tandis que je continuais à semer copieusement, autour de moi, les restes des lambeaux de cette peau dans laquelle je ne me sentais de plus en plus mal.
Arrivé au rez-de-chaussée, à bout de souffle, je m’empressai d’évacuer cette gélule spatiale mortuaire, manquant de piétiner ce pauvre clébard qui semblait, quant à lui, vouloir jouer les prolongations.
Ce n’est qu’en jetant un regard curieux derrière moi que j’eus l’immense satisfaction de voir que ce vilain cabot n’en finissait pas de se régaler à lécher tout le sol de l’ascenseur, sans perdre une seule miette des desquamations que j’y avais laissé tomber, comme s’il s’était agi de petits morceaux de chips qu’un pique-niqueur urbain aurait négligemment semé sur son chemin.
Je me serais bien laissé m’écrier « Psoriasis ! » dans le même ton que l’on s’écrierait « Attention ! » mais l’honnêteté m’empêcha de le faire, car, tout compte fait, je n’avais toujours pas la certitude que c’en fut !