• Rendez-vous avec une page blanche

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    C’est étrange.

    Il faut toujours que cela vienne quand il est l’heure de se coucher. J’ai beau essayer de m’organiser, de faire que les choses se passent autrement, rien n’y fait. J’ai beau sortir du bureau en courant, quitter le boulot en laissant tout en plan, arriver chez moi l’air décomposé et les cheveux au vent, m’enfermer à double tour, tirer les rideaux, tamiser la lumière, calfeutrer toutes les issues, rien n’y fait et rien ne se présente : il faut attendre ! A croire qu’il faille prendre un rendez-vous plusieurs mois à l’avance, ou bien effectuer je ne sais trop quelle bonne action.

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    Pourtant, tous les matins, dès le réveil, c’est prévu : je me lève, je me douche, je me rase, je me brosse les dents et je me motive. Mais non. Rien. Absolument rien. C’est à croire qu’ils ne me voient pas, ou bien que mon désir de les accueillir n’est pas encore assez fort. Allez savoir ! Si ça se trouve, c’est une question de relations, ou bien de piston. Et puis, peut-être me manque-t-il les verres en cristal et les meubles style Second Empire, les fleurs dans les vases et la vue sur les Champs Elysées ? S’il ne s’agit pas d’un appartement d’au moins trois cents mètres carrés, peut-être déclinent-ils d’office l’invitation ? Je ne sais pas, moi … Je demande, je m’informe ! C’est normal, de se poser la question ! Depuis le moment que ça me turlupine, cette histoire de décalage horaire systématique …

    Parce qu’ils viennent, les coquins ! Ils finissent toujours par venir, mais voyez-vous, c’est un peu comme lorsque l’on fréquente des gens un peu originaux, un peu allumés du comportement et un peu artistes dans le look : ils viennent, oui, mais on ne sait jamais à partir de quelle heure, et dans quel état ! Si c’est prévu pour l’heure du dîner, ce sera plutôt pour vingt-deux ou vingt-trois heures … Mais si c’est pour le fun, comme ça, n’importe quand, sans raison précise, pour l’hygiène ou pour la diversification des sentiments, là, ce n’est pas pareil, il n’y a plus de limite : plus aucune limite !

    La soirée, pour eux, c’est la nuit ; et la nuit, c’est une nuit blanche, vous pouvez en être sûrs ! Vous pouvez en être certains ! Tu peux te la programmer d’avance sur ton petit agenda officiel, d’ailleurs : la soirée où tu décides de les inviter, ce sera une nuit blanche ! Et ce n’est pas une mince affaire, une nuit blanche … Pas de coupure, pas de césure ! Entre les journées, pas de virgule et surtout pas de point. Tout s’enchaîne, tout continue, toutes les minutes s’étalent sur toi comme une crasse définitive et irrévocable, une crasse à laquelle aucun esprit, même le plus tenace ou le plus rigoureux, ne peut se préparer. La meilleure solution, c’est encore de prévoir le coup, dormir deux fois plus avant le grand jour. Et si cela ne s’avère pas suffisant, faire la taupe ou la marmotte, pendant dix jours d’affilée minimum, histoire d’être encore tout ensuqué au moment où l’ambiance se déclarera propice.

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    C’est justement ce que j’ai fait, mais on avait dû mal se comprendre, car pour le moment, c’est toujours silence radio. Pas la moindre présence d’esprit, ni le moindre état d’âme à décrire.<o:p></o:p>

    Rien.

    Le calme plat. Le désert des Tartares.

     

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    Je me résume donc à un homme seul juché sur la falaise de son pied de lit.

    C’est tout. La tête encore en vrac, avec mes idées à l’envers, et mes raisonnements impossibles qui se mordent la queue et qui ne tiennent pas debout.

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       Ils ont dû faire les difficiles, les pointilleux. S’offrir le luxe de me trouver pas assez frais pour eux. Ce doit être ça. Ils ont dû me mettre de côté, pour manque de motivation ou manque d’hygiène, allez savoir ! Quand on reçoit des amis, on se fait beau, on se fait propre, eh bien là, c’est pareil : il faut se faire l’esprit beau, l’âme propre. Il doit même être de bon ton d’effectuer tout un rituel dont j’ignore bien sûr tout des modalités, pauvre andouille que je suis !<o:p></o:p>

    En l’occurrence, si j’y mettais un peu du mien, peut-être se pointeraient-ils plus souvent ?<o:p></o:p>

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    Ce que j’aime bien, pourtant, c’est quand ils débarquent à l’improviste, quand, tout à coup, tout s’anime et reprend vie ! Mais c’est rare. Et lorsque cela arrive, ils me font toujours le coup de se pointer après minuit.<o:p></o:p>

    Pour moi, minuit, pour être honnête, ça commence à être limite tard.<o:p></o:p>

    Qu’est-ce qu’ils croient ? Il faut bien gagner sa vie, la journée, se fatiguer à la tâche et avoir de quoi bouffer. C’est si facile, pour eux ! Si facile. Pas de souci financier, pas de problème matériel, pas de corvées quotidiennes. Savent-ils au moins ce que nous endurons, nous, les petits êtres rampants de ce bas monde ? Que connaissent-ils de l’effort titanesque de se lever tous les matins à la même heure, de s’arracher hors de son lit au beau milieu des meilleurs sommeils, de se traîner laborieusement jusqu’à la salle de bain, comme un cadavre à réanimer de toute urgence, de s’affliger la projection des deux spots de soixante watts en pleine poire, la douche froide, et le feu du rasoir ? Que savent-ils, de tout ça ? Hein ? Qu’en savent-ils, au juste ?<o:p></o:p>

                Rien. Ils ne savent rien. Ils se marrent. Ils nous regardent en biais, nous scrutent dans nos moindres faits et gestes, et n’en perdent pas une miette, afin d’en tirer les meilleurs partis et les meilleures conséquences. Les paupières que l’on n’arrive pas à se décoller, eux, ça les fait rire. La voix cassée et la tête ébouriffée, ça les amuse au plus haut point.

    D’ailleurs, si ça ne les amusait pas, ils ne seraient pas là aussi nombreux, dès le matin, à ricaner en bandes, du haut de leurs inaccessibles balcons …

    On doit les intriguer, un peu comme lorsque l’on se penche au-dessus d’une colonie de fourmis rousses, et que l’on voudrait comprendre la raison de toute leur étrange et vaine agitation infertile.

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    Tous les matins, plein de bonne volonté, je me lance : « Allez ! Patience ! C’est pour ce soir ! » Tous les matins, je me fais le serment de rattraper, le soir même, tout ce que j’ai laissé s’échapper durant toutes les veilles précédentes.<o:p></o:p>

    Mais rien n’y fait. Ils ne veulent rien entendre, rien comprendre.<o:p></o:p>

    Eux, c’est à minuit, qu’ils travaillent. C’est à minuit, qu’ils opèrent. A minuit, qu’ils dissèquent.

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    Alors j’attends. Docile comme le roc qui va se faire tailler.

    Et ils arrivent à minuit. Minuit passé … parfois d’une heure, parfois de deux heures …

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    Là, enfin, ils s’emparent de la plume et gribouillent cette maudite et indomptable page trop blanche.

    Et sous mes yeux fatigués et ahuris, ils m’offrent enfin le vrai corps à corps de la raison contre l’émotion.

    Celui pendant lequel le plaisir prend enfin le pas sur la raison.

     

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  • Commentaires

    1
    visiteur_Edouardo IV
    Lundi 24 Juillet 2006 à 11:17
    Et dieu sait que le plaisir est partag?
    Je me demande pourquoi tu as si peu de commentaire. Un manque de pub ?
    Du coup, je vais t'en laisser un peu plus g?reusement, m? si c'est pour dire que la photo est belle, tu sauras que c'est aussi parce que tes textes sont toujours aussi bons.
    2
    charliebregman
    Lundi 24 Juillet 2006 à 22:24
    Merci !
    ... Alors ? La photo est belle ? ;)
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    3
    Papule
    Mardi 28 Août 2012 à 01:31
    Votre écriture est très belle et limpide, Mr Bregman. Celle de Vivement l'amour, que j'ai adoré, m'avait paru un peu simpliste au premier regard mais l'on y retrouvait pourtant déjà ce style bien particulier que vous avez de saupoudrer vos réflexions les plus profondes d'une touche d'humour tout en subtilité.
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